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demandai aussi bien qu’à M. de Malesherbes les ordres les plus sévères pour en empêcher la publication. J’étais d’autant plus alarmé que, dans ce temps-là même, un nommé Grasset écrivit à Paris au sieur Corbi, qu’il en avait acheté un exemplaire manuscrit mille écus.

Enfin je suis rassuré par votre lettre, et vous voyez par la mienne que je ne vous cache rien de tout ce qui regarde cet ancien manuscrit. Après toutes ces explications je n’ai qu’une grâce à vous demander. Vous avez entre les mains un ouvrage tronqué, incorrect, et très-indécent ; faites une belle action : jetez-le au feu ; vous ne ferez pas un grand sacrifice, et vous assurerez le repos de ma vie. Je suis vieux et infirme ; je voudrais mourir en paix, et vous en avoir l’obligation.

Le roi de Prusse a voulu avoir pour son copiste le fils de ce Villaume[1] que j’ai emmené de Potsdam avec moi. Je le lui ai rendu, et j’ai payé son voyage ; je crois qu’il en sera content ; heureusement il ne fait point de vers. Adieu, conservez-moi votre amitié ; écrivez-moi. Voulez-vous bien remercier pour moi M. de Croismare de son souvenir, et permettre que je fasse mes compliments à M. Duverney ? Je me flatte que votre sort est très-agréable ; je m’y intéresserai toujours très-tendrement, soyez-en bien sûr.

Ma pauvre santé ne me permet plus guère d’écrire de ma main. Pardonnez à un malade.

Comptez que ce poème, et la vie de l’auteur, et tout au monde, sont bien peu de chose.


2934. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Aux Délices, par Genève, 13 juin.

Je n’ai de termes ni en vers, ni en prose, ni en français, ni en chinois, mon cher et respectable ami, pour vous dire à quel point vos bontés tendres et attentives pénètrent mon cœur. Vous êtes le saint Denis qui vient au secours de Jeanne. J’ai reçu votre lettre par M. Mallet ; mais les choses sont pires que vous ne les croyez. M. le duc de La Vallière me mande qu’on lui a offert un exemplaire pour mille écus ; le beau-frère de Darget en a donné une ou deux copies. Je ne sais pas ce que ce Darget a fait, mais je sais que, dans tous les pays où il y a des libraires, on cherche

  1. C’est probablement de lui que parle Colini dans Mon Séjour, page 72.