Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/416

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précautions dont vous êtes capable. Faites donc examiner Thieriot avec soin, et vous découvrirez par là dans ses allures l’usage qu’il fera du manuscrit en question, qu’il doit ou avoir maintenant reçu, ou qu’il recevra certainement dans peu de jours. Je ne doute pas qu’il ne voie à cette occasion quelque libraire ; vous connaissez ceux qui sont capables de se charger d’une pareille besogne, soit Lambert, qui a été l’imprimeur de confiance de Voltaire, soit quelque autre. Peut-être aussi Thieriot, avant de donner l’ouvrage à l’imprimeur, voudra-t-il en faire faire une seconde copie, et, en ce cas, les démarches qu’il faudra qu’il fasse pour avoir un copiste n’échapperont pas à votre vigilance. Si vous faites quelques découvertes dans ce genre, je suis persuadé que vous ne laisserez pas échapper l’occasion de saisir l’ouvrage et de faire mettre à la Bastille ceux qui s’en trouveraient chargés. Comme je compte toujours que nous nous verrons dimanche, si d’ici là vous ne parvenez pas au but que je vous propose, nous nous entretiendrons alors des mesures que vous aurez prises, et de ce que vous espérez de leur succès.


2949. — DE M. DARGET[1].

J’étais à courir le monde, mon ancien ami, quand les deux lettres que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire, le 11 et le 13 du mois dernier, sont arrivées ici. Elles m’ont suivi à Vésel, où j’ai été me mettre aux pieds de mon ancien maître, qui m’a reçu avec une bonté qui mérite à jamais mon attachement et ma reconnaissance ; et ce n’est que dans ce moment enfin que je les reçois ici. J’y réponds aussi dans le moment, et je désirerais bien sincèrement que mon exactitude put contribuer à votre tranquillité ; j’entre dans vos peines, et je les partage. Vous auriez peut-être eu moins besoin de consolation si j’avais été toujours à portée d’être votre consolateur. Vous êtes un des grands hommes que je connaisse qui aient le plus de besoin de n’être entouré que d’honnêtes gens. Je n’ai été touché des injures qu’a débitées La Beaumelle[2] que parce qu’il les mettait dans votre bouche, et que mon cœur souffrait à avoir des motifs de se refermer pour vous. Je suis enchanté et tranquillisé par les choses obligeantes que vous me dites à cet égard, et je vous en remercie comme d’un bienfait. Ce qui contribue à la paix de l’âme ne peut pas être d’un prix médiocre pour les âmes sensibles.

Je suis très-sincèrement touché de l’inquiétude où vous êtes sur le sort de votre Pucelle. Vous n’avez point en mon amitié la confiance que j’ose me flatter d’avoir méritée ; vos terreurs ne tomberaient pas sur le manuscrit qui est entre les mains de mon beau-frère. Je ne nie pas que l’on ait su qu’il existait, et c’est ma faute. Sans moi, sans l’envie que j’ai eue de satisfaire la plus juste curiosité du peu de gens de goût que je vous ai nommés, et de les confirmer, par la lecture de cet ouvrage, dans leur admiration pour vous, personne n’aurait entendu parler de ce manuscrit ; on ignorerait

  1. Cette réponse aux lettres 2933 et 2935 est sans date ; elle doit être du milieu de juillet.
  2. Voyez ma note sur la lettre 2925.