Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous demande pardon d’avoir imaginé que vous eussiez pu adopter l’idée que M. d’Argental a eue un moment[1] ; j’espère qu’il ne l’a plus.

Ayez soin de votre santé, et aimez les deux solitaires qui vous aiment tendrement. Je vous embrasse, ma chère enfant, du fond de mon cœur.


2894. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
13 août.

Vraiment, mon cher ange, il ne manquait plus à mes peines que celle de vous voir affligé. Je ne m’embarrasse guère de vos gronderies, mais je souffre beaucoup de l’embarras que vous donnent les bateleurs de Paris. Mon divin ange, grondez-moi tant qu’il vous plaira, mais ne vous affligez pas. M. de Richelieu me mande qu’il faut que Grandval joue dans la pièce : « Très-volontiers, lui dis-je, je ne me mêle de rien ; que Lekain et Grandval s’étudient à vous plaire, c’est leur devoir. »

La Comédie est aussi mal conduite que les pièces qu’on y donne depuis si longtemps. Le siècle où nous vivons est, en tous sens, celui de la décadence ; il faut l’abandonner à son sens réprouvé. J’ai désiré, mon cher et respectable ami, qu’on donnât mes magots à Fontainebleau, puisqu’on doit les donner ; et je l’ai désiré afin de pouvoir détruire dans une préface[2] les calomnies qui viennent m’assaillir au pied des Alpes. Vous savez une partie des horreurs que j’éprouve, et je dois à votre amitié le premier avis que j’en ai eu. La députation de Grasset est le résultat d’un complot formé de me perdre, partout où je serai. Jugez si je suis en état de chanter le dieu des jardins. J’en dirai pourtant un petit mot, quand je pourrai être tranquille ; mais je le dirai honnêtement. Toute grossièreté rebute, et vous devez vous en apercevoir par la différence qui est entre la copie que je vous ai envoyée et l’autre exemplaire. Je vous supplie de répandre cette copie le plus que vous pourrez, et surtout de la faire lire à M. de Thibouville ; je vous en conjure. Ah ! mon cher et respectable ami, quel temps avez-vous pris pour me gronder ! Celui que votre oncle[3] prend pour m’achever. Je vous embrasse tendrement. Les hommes sont bien méchants ; mais vous me raccommodez avec l’espèce humaine.

  1. Il avait soupçonné Voltaire de faire imprimer la Pucelle.
  2. L’Épître dédicatoire de l’Orplielin est une espèce de préface.
  3. Voyez la lettre 2982.