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votre lac. La maison auprès de Genève m’a séduit ; il faut avouer que les jardins sont délicieux et l’aspect enchanteur : je m’y suis ruiné ; mais je préférerai Monrion, si vous voulez bien regarder cet ermitage comme le vôtre. Venez-y quand je n’y serai pas ; mais venez-y surtout quand j’y serai ; consolez-y un malade, et éclairez un être pensant. J’y ai actuellement deux domestiques qui arrangent mon petit ménage, ou plutôt le vôtre. Comptez que cette retraite me tiendra lieu avec vous des îles Borromées. Je compte m’y établir incessamment pour l’hiver : je n’en sortirai point. Il m’est impossible de quitter le coin de mon feu dès que le mauvais temps est venu. J’aurai une chambre pour vous, une pour notre ami M. de Brenles, de bon vin, un cuisinier assez passable, quelques livres qui n’en sortiront point, et qui pourront amuser mes hôtes ; voilà mon petit établissement d’hiver, que je vous prie encore une fois de regarder comme votre maison toute l’année.

Je ne sais pas si M. de Brenles est revenu de la campagne, mais je me flatte qu’il sera de retour quand ma santé me permettra de me transporter à Monrion.

J’ai appris, depuis quelques jours, que la Pucelle est imprimée. Votre honnête capucin proposa dans Francfort à un nommé Esslinger, libraire, de faire cette édition ; il voulut vendre son manuscrit trop cher. Esslinger ne put conclure avec lui ; il faut que ce bon capucin l’ait vendu à un autre. Les magistrats de Genève m’ont promis qu’ils empêcheraient cette capucinade effrontée d’entrer dans leur petit district : je ne sais comment faire pour en obtenir autant à Lausanne, On dit l’édition très-mauvaise, et pleine de fautes. Je ne ferai pas le moindre reproche à M***[1] de son goût pour les capucins, et je resterai tranquille.

Savez-vous que le conseil de Genève s’est fait représenter la belle lettre de Grasset à Bousquet, et que Grasset est décrété de prise de corps ?

Le papier me manque, je finis ; tuus in æternum.


3062. — À M. BERTRAND.
Aux Délices, près Genève, 20 novembre 1755.

J’ai envoyé, mon cher monsieur, à M. de Morancour, une lettre que j’ai écrite à l’Académie française, au sujet des rapsodies qu’on se plaît à imprimer sous mon nom. Cette lettre a

  1. Sans doute M. de Montolieu. Lettre du 12 août précédent, à Polier.