Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/544

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comme bien dire. Mon cœur est aussi pénétré de votre lettre que mon esprit a été charmé de votre Discours. Je prends la liberté d’écrire au roi de Pologne, comme vous me le conseillez, et je me sers de votre nom pour autoriser cette liberté, J’ai l’honneur de vous adresser la lettre[1] ; mon cœur l’a dictée.

Je me souviendrai toute ma vie que ce bon prince vint me consoler un quart d’heure dans ma chambre, à la Malgrange, à la mort de Mme du Châtelet. Ses bontés me sont toujours présentes. J’ose compter sur celles de Mme de Boufflers et de Mme de Bassompierre[2]. Je me flatte que M. de Lucé[3] ne m’a pas oublié ; mais c’est à vous que je dois leur souvenir. Comme il faut toujours espérer, j’espère que j’aurai la force d’aller à Plombières, puisque Toul est sur la route. Vous m’avez écrit à mon château de Mourion ; c’est Ragotin qu’on appelle monseigneur ; je ne suis point homme à châteaux. Voici ma position : j’avais toujours imaginé que les environs du lac de Genève étaient un lieu très-agréable pour un philosophe, et très-sain pour un malade ; je tiens le lac par les deux bouts ; j’ai un ermitage fort joli aux portes de Genève, un autre aux portes de Lausanne ; je passe de l’un à l’autre ; je vis dans la tranquillité, l’indépendance, et l’aisance, avec une nièce qui a de l’esprit et des talents, et qui a consacré sa vie aux restes de la mienne.

Je ne me flatte pas que le gouverneur de Toul[4] vienne jamais manger des truites de notre lac ; mais si jamais il avait cette fantaisie, nous le recevrions avec transport ; nous compterions ce jour parmi les plus beaux jours de notre vie. Vous avez l’air, messieurs les lieutenants généraux, de passer le Rhin cette année plutôt que le mont Jura ; et j’ai peur que vous ne soyez à Hanovre quand je serai à Plombières. Devenez maréchal de France, passez du gouvernement de Toul à celui de Metz ; soyez aussi heureux que vous méritez de l’être ; faites la guerre, et écrivez-la. L’histoire que vous en ferez vaudra certainement mieux que la rapsodie de la Guerre de 1741, qu’on met impudemment sous mon nom. C’est un ramas informe et tout défiguré de mes manuscrits que j’ai laissés entre les mains de M. le comte d’Argenson.

Je vous préviens sur cela, parce que j’ambitionne votre estime.

  1. Cette lettre est perdue. La réponse de Stanislas est sans doute la lettre 3163.
  2. Sœur de la marquise de Boufflers.
  3. Envoyé extraordinaire du roi Louis XV près Stanislas.
  4. Depuis 1750, Tressan était gouverneur du Toulois et de la Lorraine française. Quelques années auparavant, il avait épousé une Écossaise nommée Reuxel dans le Dictionnaire de la noblesse. (Cl.)