Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/546

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bien je m’intéresse toujours à elle. Je ne lui écris point, parce que, dans ma solitude, je n’ai rien de commun avec le monde. Je suis devenu Suisse et jardinier. Je sème et plante. Je n’oublie point les personnes auxquelles j’ai été attaché, mais je ne les ennuie point de mes inutiles lettres.

Je suis très-aise pour l’Académie des belles-lettres que vous remplissiez et que vous honoriez la place d’un théatin[1] ; je n’en savais rien. Je ne lis ni gazettes ni Mercures. Je ne sais plus l’histoire de mon siècle ; et je n’ai guère de correspondance qu’avec le jardinier[2] des Chartreux, quoique l’apparition de la Pucelle puisse faire penser que je suis en commerce avec leur Portier[3].

Mme Denis vous fait mille compliments. Je me flatte que votre ami[4] n’a plus la goutte. Les circonstances présentes semblent demander un homme ingambe ; mais il sera toujours très-alerte, quand même il aurait le pied emmaillotté.

Recevez ma très-sincère et très-tendre reconnaissance, et mon inviolable attachement.

J’ai eu l’honneur d’avoir un tremblement de terre dans mon ermitage des Délices. Si les îles Açores sont englouties, comme on l’assure, je me range du sentiment de M. de Buffon.


3100. — À M. DE CHENEVIÈRE[5].
À Monrion, 15 janvier.

En vous remerciant de votre souvenir, mon ancien ami. Si vous voulez me voir, comme vous le dites, dans le sein de ma famille, venez aux Délices ; j’y ai déjà une nièce que vous aimez, et j’en aurai une autre dans quelque temps. Je vous mènerai d’un bout du lac de Genève à l’autre, et je vous ferai faire très-bonne chère aux Délices et à Monrion. Vous mangerez des truites aussi grosses que vous, et qui vous donneront des indigestions. Vous verrez des gens très-instruits et de beaucoup d’esprit ; vous vous promènerez dans de grands et beaux jardins, d’où on voit le lac et le Rhône ; vous aurez de la musique, et vous verrez qu’il ne me manque que de la santé.

  1. Boyer, évêque de Mirepoix.
  2. Dans le volume publié en 1820, sous le titre de Vie privée de Voltaire et de Mme du Châtelet, il est parlé d’un jardinier à qui Voltaire a écrit une trentaine de lettres. (Cl.)
  3. Allusion à un ouvrage de Gervaise ; voyez tome X, page 113.
  4. Le comte d’Argenson, ministre de la guerre.
  5. Éditeurs, de Cayrol et François.