Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome45.djvu/201

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encore davantage. Elles font ma consolation ; peu de choses me sont plus chères que les témoignages de vos bontés.

On dit qu’il y a eu beaucoup de bruit à la première représentation des Scythes, et qu’il y avait dans le parterre des barbares qui n’ont nulle pitié de la vieillesse. Vous serez plus indulgent, vous pardonnerez à un vieillard un peu languissant une lettre si écourtée ; elle serait bien longue si j’avais le temps de vous exprimer tous les sentiments que je conserverai pour vous toute ma vie. Mme Denis et toute la maison vous font les plus tendres compliments.

6820. — À M. THIERIOT.
1er avril.

M. le marquis de Maugiron[1] vient de mourir. Voici les vers qu’il a faits une heure avant sa mort :

Tout meurt, je m’en aperçois bien.
Tronchin, tant fêté dans le monde,
Ne saurait prolonger mes jours d’une seconde.
Ni Daumat[2] en retrancher rien.
Voici donc mon heure dernière :
Venez, bergères et bergers,
Venez me fermer la paupière ;
Qu’au murmure de vos baisers,
Tout doucement mon âme soit éteinte.
Finir ainsi dans les bras de l’Amour,
C’est du trépas ne point sentir l’atteinte ;
C’est s’endormir sur la fin d’un beau jour.

Vous remarquerez qu’il logeait chez l’évêque de Valence, son parent. Tout le clergé s’empressait à lui venir donner son passeport avec la plus grande cérémonie. Pendant qu’on faisait les préparatifs, il se tourna vers son médecin, et lui dit : Je vais bien les attraper ; ils croient me tenir, et je m’en vais. Il était mort en effet quand ils arrivèrent avec leur goupillon. Vous pourrez, mon ancien ami, régaler de cette anecdote certain génie à qui vous écrivez quelquefois des nouvelles[3]. Cela sera d’autant mieux placé

  1. Dans la Correspondance de Grimm, à la date du 15 auguste 1768, on parle du marquis de Maugiron, mort au commencement de l’année précédente. C’est sur cette autorité que j’ai placé à l’année 1767 cette lettre, mise, avant moi, en 1766. (B.)
  2. Médecin à Valence, et qui y donnait des soins à Maugiron.
  3. Thieriot était le correspondant littéraire du roi de Prusse.