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qu’il serait homme en pareil cas à imiter M. de Maugiron, et même à faire de meilleurs vers que lui.

Vous avez dû voir la lettre de M. Mauduit sur Bélisaire[1] ; cela peut encore amuser un philosophe.

Continuez à vivre de régime, afin de vivre longtemps. On me parle dans plusieurs lettres de monsieur l’évêque de Saint-Brieuc et de son aventure, qu’on me dit fort plaisante. On suppose que je sais cette aventure, et je ne sais rien du tout[2]. Je suis bien aise d’ailleurs qu’un évêque amuse le monde, cela vaut mieux que de l’excommunier.

P. S. Ah ! on vient de me conter l’aventure. Voilà une maîtresse femme. Vale.

6821. — À MADAME DU BOCCAGE[3].
Du château de Ferney, 2 avril.

Bion et Moschus, madame, vous ont bien de l’obligation de les avoir embellis, et moi d’avoir bien voulu m’envoyer vos deux très-jolies imitations. Je m’imagine que votre beauté est tout comme votre esprit. Vous étiez très-belle quand vous passâtes par ma cabane, en revenant des palais d’Italie. Vous ne devez avoir changé en rien ; une femme ne s’avise point de faire des vers amoureux sans inspirer de l’amour.

Mon petit La Harpe est enchanté de la bonté que vous avez de le faire Normand ; le voilà enrôlé sous vos drapeaux. C’est Sapho qui met Phaon de son académie ; il a plus d’esprit et de génie que Phaon, et peut-être autant de grâces ; cela n’a que vingt-sept ans.

Il semble fait également
Et pour le Pinde et pour Cythère,
Et pourrait être votre amant
Aussi bien que votre confrère.

Mais je vous avertis, madame, qu’il est coupable, comme moi, de préférer Jean Racine à Pierre Corneille. J’ai peur que, dans

  1. Anecdote sur Bélisaire ; voyez tome XXVI, page 109.
  2. Bareau de Girac, évêque de Saint-Brieuc, avait été surpris en flagrant délit avec une dame qui, feignant d’être violée, sauta sur l’épée de son mari, et la plongea dans la cuisse du prélat. On parla beaucoup de ce coup d’épée, qui avait percé la cuisse sans endommager la culotte. (B.)
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.