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ANNÉE 1767

sible que ces armes soient aiguisées par le plus doux et le plus aimable des hommes ? Je ne vous en aime pas moins ; mais ma douleur est égale aux sentiments que je conserverai pour vous jusqu’à la mort.

Je n’écris point à Mme du Déffant ; que lui manderais-je du désert où j’achève mes jours ? Je ne pourrais que lui dire que je l’aime de tout mon cœur, ou que de tout mon cœur je l’aime ; car il n’y a plus moyen de lui dire : « Belle marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour, ou d’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux[1]. »

Jouissez tous deux de la vie comme vous pourrez ; je la supporte assez doucement.

7186. — À M. CHARDON.
Février.

Monsieur, Cicéron et Démosthène, à qui vous ressemblez plus qu’au maréchal de Villeroi, n’ont pas gagné toutes leurs causes : je ne suis point du tout étonné que la forme l’ait emporté sur le fond ; cela est triste, mais cela est ordinaire. Il ne serait pas mal pourtant que l’on trouvât un jour quelque biais pour que le fond l’emportât sur la forme.

J’ai revu le pauvre Sirven, qui croit avoir gagné son procès, puisque vous avez daigné prendre son parti. Il n’y a pas moyen qu’il aille se présenter au parlement de Toulouse ; on l’y punirait très-sérieusement de s’être adressé à un maître des requêtes. Vous savez assez, monsieur, par le petit libelle que vous avez reçu de Toulouse, que les maîtres des requêtes n’ont aucune juridiction[2], et que le roi ne peut leur renvoyer aucun procès : ce sont là les lois fondamentales du royaume. Sirven serait injustement pendu ou roué, pour s’être adressé au conseil du roi ; ce serait un esclave que le conseil des dépêches renverrait à son maître pour le mettre en croix. Voilà une famille ruinée sans ressource ; mais comme c’est une famille de gens qui ne vont point à la messe, il est juste qu’elle meure de faim[3].

  1. Bourgeois gentilhomme, acte II, scène vi.
  2. C’est ce qu’on disait dans la pièce dont Voltaire parle en ses lettres 7068 et 7107.
  3. Les formes judiciaires ne laissaient à Sirven d’autre ressource que d’appeler au parlement de Toulouse de la sentence ridicule et atroce du juge de Mazamet ; il en a eu le courage, et un arrêt de ce parlement l’a déclaré innocent. Mais le juge de Mazamet n’a point été puni ; on n’a point puni ces religieuses dont la