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CORRESPONDANCE


7221. — À M. LE DUC DE CHOISEUL.
1er avril 1768.

Mon protecteur, ceci s’adresse au ministre de paix. Vous avez la bonté de m’accorder quelques éclaircissements sur le Siècle de Louis XIV. Tout ce qui regarde la cruelle guerre est imprimé. Je n’ai plus qu’un seul petit objet de curiosité sur une tracasserie ecclésiastique en cour de Rome. Mon protecteur connaît ce pays-là.

Il y avait, en 1699, un birbone, un furfante, un ma’andrino nommé Giori, espion de son métier, prenant de l’argent à toute main, et en donnant partie ad alcuni ragazzi ; quello buggerone trahissait le cardinal de Bouillon en recevant ses présents : il fut la cause de tous les malheurs de ce cardinal. Il doit y avoir deux ou trois lettres de ce maraud, écrites en février et mars 1699, à M. de Torcy. Si vous vouliez, monseigneur, en gratifier ma curiosité, je vous serais fort obligé.

Y aurait-il encore de l’indiscrétion à vous demander la Relation de la colique néphrétique de cet ivrogne de Pierre III, adorateur du roi de Prusse, écrite par M. de Rulhière[1], secrétaire du baron de Breteuil ? Cette relation est entre les mains de plusieurs personnes, et n’est plus un secret. Tout ce que je sais, aussi certainement qu’on peut savoir quelque chose, c’est-à-dire en doutant, c’est que Pierre III n’aurait point eu la colique s’il n’avait dit un jour à un Orlof, en voyant faire l’exercice aux gardes Préobazinski : « Voilà une belle troupe ; mais je ferais fuir tous ces gens-là comme des gredins, si j’étais à la tête de cinquante Prussiens. »

Je vous jure, mon protecteur, que ma Catherine ne m’a pas dit un mot de cette colique, quoiqu’elle ait eu la bonté de me

  1. Les Anecdotes sur la révolution de Russie, par Rulhière, n’ont été imprimées qu’en 1797 ; mais l’auteur en faisait des lectures dans les sociétés ; et cet ouvrage était très-connu avant d’être imprimé.