Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome46.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
CORRESPONDANCE.

Vous croirez bien que je ne passe pas ma vie à examiner tristement cette révolution qui, j’espère, influera très-peu sur mon bonheur dans nos montagnes. Elle m’afflige quelquefois ; mais je vais chercher le remède chez mes amis et les vôtres. J’en vois beaucoup, dont je vous entretiendrai au plus tard dans trois mois. L’avantage que j’ai de vivre auprès de vous me fait un mérite à leurs yeux. Je suis questionné plus qu’un Indien, et je réponds à chacun selon sa jauge.

Mme la duchesse de Choiseul m’a dit, il y a quelque temps, qu’elle croyait être mal dans votre esprit. Je l’ai assurée du contraire. Si vous lui écrivez en conséquence, ne me nommez pas. Je ne vous dirai rien du duc : il a bien des affaires et bien des ennemis, et c’est dommage pour lui et pour l’État. Je ne sais pas encore s’il me fera du bien, mais je lui en souhaite beaucoup, car il est bon et juste, entend bien ce qu’il écoute, et a dans l’âme une sorte de grandeur d’autant plus précieuse qu’elle devient plus rare.

Adieu, monsieur, il n’y a pas un jour dans l’année où je croie pouvoir me permettre de vous fatiguer de compliments. Aimez-moi comme je vous aime, et ce sera toujours de plus en plus.

7437. — À M. D’ALEMBERT.
31 décembre.

Mon cher philosophe, le démon de la discorde et de la calomnie souffle terriblement sur la littérature. Voyez ce qu’on a imprimé dans plusieurs journaux du mois de novembre : il est nécessaire que vous en soyez instruit ; je ne crois pas que ces journaux soient fort connus à Paris, mais ils le sont dans l’Europe.

Croiriez-vous que M. le duc et Mme la duchesse de Choiseul ont daigné m’écrire pour disculper La Bletterie ? Mais comment se justifiera-t-il, non-seulement d’avoir traduit Tacite en style pincé, mais de n’avoir fait des notes que pour insulter tous les gens de lettres ? Je ne parle pas de Linguet, qui s’est défendu un peu trop longuement ; mais pourquoi désigner Marmontel dans le temps de la persécution qu’il essuyait ? N’a-t-il pas désigné de la manière la plus outrageante le président Hénault, par ces paroles que vous trouverez page 235 du second tome ? « Fixer l’époque des plus petits faits avec la plus grande exactitude, c’est le sublime de nos prétendus historiens modernes. Cela leur tient lieu de génie et des talents historiques. »

Quoi ! cet homme attaque tout le monde, et il trouve la plus forte protection et les plus grands encouragements ! Est-ce pour l’éducation des Enfants de France qu’il a publié son Tacite ? Je sais certainement qu’il veut être de l’Académie, et probablement il en sera.