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ANNÉE 1768.
7477. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 8 février 1769.

La grand’maman a ses ports francs ; j’ai toujours oublié de vous le dire ; mais comment en avez-vous pu douter ? Femme d’un ministre, d’un secrétaire d’État, et par-dessus tout d’un surintendant des postes ! Et quand elle ne les aurait pas, croyez-vous qu’elle craignît des frais ? Je ne les craindrais pas, moi, s’il y avait sûreté que les paquets me parvinssent. Envoyez donc, monsieur, sans nulle réserve, sans nulle discrétion, je n’ose pas dire tout ce qui sortira de vos mains, mais tout ce qui tombera entre vos mains.

Où prenez-vous que je hais la philosophie ? Malgré son inutilité, je l’adore ; mais je ne veux pas qu’on la déguise en vaine métaphysique, en paradoxe, en sophisme. Je veux qu’on nous la présente à votre manière, suivant la nature pied a pied, détruisant les systèmes, nous confirmant dans le doute, et nous rendant inaccessibles à l’erreur, quoique sans nous donner la fausse espérance d’atteindre à la vérité ; toute la consolation qu’on en tire (et c’en est une), c’est de ne pas s’égarer, et d’avoir la sûreté de retrouver la place d’où l’on est parti. À l’égard des philosophes, il n’y en a aucun que je haïsse ; mais il y en a bien peu que j’estime.

Il y a une nouvelle brochure qui a pour titre : Lettres sur les animaux, à Nuremberg. C’est d’un nommé Le Roy[2], inspecteur des chasses du parc de Versailles ; elle m’a paru très-bonne, je ne l’ai lue qu’une fois, et je ne m’en tiens pas toujours à mon premier jugement. Il faut que les ouvrages, et surtout ceux de raisonnement, soutiennent une seconde lecture pour que je puisse m’assurer de les trouver bons. Si vous l’avez lue, dites-m’en votre avis, et si vous ne l’avez pas lue, lisez-la, je vous supplie. Le style est entre le vôtre et celui de ceux qui passent pour très-bien écrire.

La grand’maman est à la campagne ; vous augmentez l’impatience que j’ai de son retour par ce que vous me dites qu’elle a à me montrer.

7478. — À M. PANCKOUCKE.
13 février.

L’Académie de Rouen, monsieur, me fait l’honneur de m’écrire que vous êtes chargé, depuis un mois, de me faire parvenir deux exemplaires du discours qui a remporté le prix[3]. Je ne crois pas que les commis de la douane des pensées trouvent rien de contraire à la théologie orthodoxe, dans l’Éloge de Pierre Corneille. Peut-être seront-ils plus difficiles pour le Siècle de

  1. Correspondance complète, édition de Lescure ; Paris, 1765.
  2. Voyez, tome XXVIII, la note 1 de la page 488.
  3. Éloge de Corneille, par Gaillard ; voyez lettre 7345.