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ANNÉE 1769.

rant de très-mauvaise humeur[1], qui s’est imaginé que je faisais très-peu de cas de ses ordonnances.

Vous ignorez peut-être, madame, qu’il écrivit contre moi au roi l’année passée, et qu’il m’accusa de vouloir mourir comme Molière, en me moquant de la médecine ; cela même amusa fort le conseil. Vous ne savez pas sans doute qu’un soi-disant ci-devant jésuite franc-comtois nommé Nonotte, qui est encore plus mauvais médecin, me déféra, il y a quelques mois, à Rezzonico[2], premier médecin de Rome, tandis que l’autre me poursuivait auprès du roi, et que Rezzonico envoya à l’ex-jésuite nommé Nonotte, résidant à Besançon, un bref dans lequel je suis déclaré atteint et convaincu de plus d’une maladie incurable. Il est vrai que ce bref n’est pas tout à fait aussi violent que celui dont on a affublé le duc de Parme ; mais enfin j’y suis menacé de mort subite.

Vous savez que je n’ai pas deux cent mille hommes à mon service, et que je suis quelquefois un peu goguenard. J’ai donc pris le parti de rire de la médecine avec le plus profond respect, et de déjeuner, comme les autres, avec des attestations d’apothicaires.

Sérieusement parlant, il y a eu, à cette occasion, des friponneries de la Faculté si singulières que je ne peux vous les mander, pour ne pas perdre de pauvres diables qui, sans m’en rien dire, se sont saintement parjurés pour me rendre service[3]. Je suis un vieux malade dans une position très-délicate, et il n’y a point de lavement et de pilules que je ne prenne tous les mois pour que la Faculté me laisse vivre et mourir en paix.

N’avez-vous jamais entendu parler d’un nommé Lebret, trésorier de la marine, que j’ai fort connu, et qui, en voyageant, se faisait donner l’extrême-onction dans tous les cabarets ? J’en ferai autant quand on voudra.

Oui, j’ai déclaré que je déjeunais à la manière de mon pays : Mais si vous étiez Turc, m’a-t-on dit, vous déjeuneriez donc à la façon des Turcs ? — Oui, messieurs.

De quoi s’avise mon gendre d’envoyer ces quatre Homélies[4] ? elles ne sont faites que pour un certain ordre de gens. Il faut, comme disent les Italiens, donner cibo per tutti.

  1. Biord, évêque d’Annecy. (B.)
  2. Clément XIII.
  3. Ils avaient fabriqué et certifié, chez le curé de Ferney, une profession de foi de Voltaire. Voyez lettre 7556.
  4. Les quatre homélies publiées en 1767 ; voyez tome XXVI, page 315.