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ANNÉE 1768.

J’aurais bien voulu être entre vous, Mme de Chenevières et Mme Denis ; mais ma destinée ne le permet pas. Je suis réduit à vous embrasser de loin, à cultiver la terre, à faire de mauvaise prose et de mauvais vers.

Je prends le parti d’adresser le paquet à M. Janel pour Mme de Chenevières.

7283. — À M. LE PRESIDENT DE RUFFEY[1].
À Ferney, le 10 juin 1768.

M. de La Marche, qui m’aimait, est mort[2], mon cher ami, et mon persécuteur la Brosse se porte bien. Je crois que j’irai bientôt voir mon contemporain La Marche, quoique j’aie promis à M. de Brosses de vivre longtemps. Les maladies augmentent avec l’âge, et malgré la gaieté qui règne dans la petite guerre de Genève, la mort, qui n’entend pas raillerie, viendra bientôt s’emparer de ma figure légère. En attendant je vous aimerai jusqu’au dernier moment, et je vous prie bien instamment d’être le fidèle héritier de M. de La Marche dans les bontés qu’il avait pour moi. Permettez-moi au nom de cette amitié de vous embrasser sans cérémonie. V.

7284. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 13 juin.

Mon héros dit qu’il n’a eu qu’une fois tort avec moi, et que j’ai toujours tort avec lui ; je pense qu’en cela même mon héros a grand tort.

Il se porte bien, et je vis dans les souffrances et dans la langueur ; il est par conséquent encore jeune, et je suis réellement très-vieux ; il est entouré de plaisirs, et je suis seul au pied des Alpes. Quel tort puis-je avoir de ne lui pas envoyer des rogatons qu’il ne m’a jamais demandés, dont on ne se soucie point, qu’il n’aurait pas même le temps de lire ? Dieu me garde de donner jamais une ligne de prose ou de vers à qui n’en demandera pas ! Voyez Horace, si jamais vous lisez Horace : il n’envoyait jamais de vers à Auguste que quand Auguste l’en pressait. Je songe pourtant à vous, monseigneur, plus que vous ne pensez ; et, malgré votre indifférence, j’ai devant les yeux la bataille de Fon-

  1. Éditeur. Th. Foisset.
  2. Mort, à Dijon le 3 juin 1768.