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Alite ii, scène i. 199

Mais il a dispute sur le choix des victimes,

El je l’ai vu trembler en signant tant de crimes.

FLLVIK.

Qu’importe à mes alIVonts ce faible et vain remord ? Chacun d’eux tour à tour me donne ici la mort. Octave, que tu crois uu)ins tlur et moins féroce. Sous un air plus humain cache un cœur plus atroce ; Il agit en barbare, et parle avec douceur ;

Je vois de son esprit la profonde noirceur ;

tous ses ennpiiiis ; mais je ne vois pas qu’Augusto ait pardonné à un seul. Je doute fort de sa prétendue clémence envers Cinna. Tacite ni Suétone ne disent rien de cette aventure. Suétone, qui parle de toutes les conspirations faites contre Auguste, n’aurait pas manqué de parler de la plus célèbre. La singularité d’un consulat donné à Cinna pour i)rix de la plus noire perfidie n’aurait pas échappé à tous les historiens contemporains. Dion Cassius n’en parle qu’après Sénèque, et ce morceau de Sénèque ressemble plus à une déclamation qu’à une vérité historique. De plus, Sénèque met la scène en Gaule, et Dion à Rome. Il y a là une contradiction qui achève d’ôter toute vraisemblance à cette aventure. Aucune de nos histoires romaines, compilées à la hâte et sans choix, n’a discuté ce fait intéressant. L histoire de Laurent Échard est aussi fautive que tronquée. L’esprit d’examen a rarement conduit les écrivains.

Il se peut que Cinna ait été soupçonne ou convaincu par Auguste de quelque infidélité, et qu’après l’éclaircissement Auguste lui eût accordé le vain honneur du consulat ; mais il n’est nullement probable que Cinna eût voulu, par une conspiration, s’emparer de la puissance suprême, lui qui n’avait jamais commandé d’armée, qui n’était appuyé d’aucun parti, qui n’était pas enfin un homme considérable dans l’empire. Il n’y a pas d’apparence qu’un simple courtisan ait eu la folie de vouloir succéder à un souverain affermi par un règne de vingt années, qui avait dos héritiers ; et il n’est nullement probable qu’Auguste l’eût fait consul immédiatement après la conspiration.

Si l’aventure de Cinna est vraie, Auguste ne pardonna que maigre lui, vaincu par les raistms ou par les importunités de Livie, qui avait pris sur lui un grand ascendant, et qui lui persuada que le pardon lui serait plus utile que le châtiment. Ce ne fut donc que par politique qu’on le vit une fois exeixer la clémence ; ce ne fut certainement point par générosité.

Je sais que le public n’a pu souffrir dans le Cinna de Corneille que Livie lui inspirât la clémence qu’on a vantée. Je n’examine ici que la vérité des faits ; une tragédie n’est pas une histoire. On reprochait à Corneille d’avoir avili son héros, en donnant à Livie tout l’honneur du pardon. Je ne déciderai point si on a eu raison ou tort de supprimer cette partie de la pièce, qui est aujourd’hui regardée comme une vérité, sur la foi de la déclamation de Sénèque.

Je crois bien qu’Auguste a pu pardonner quelquefois par politique, et affecter de la grandeur d’âme : mais je suis persuadé qu’il n’en avait pas ; et, sous quelques traits héroïques qu’on puisse le représenter sur le théâtre, je ne puis avoir d’autre idée de lui que celle d’un homme uniquement occupé de son intérêt pendant toute sa vie. Heureux quand cet intérêt s’accordait avec la gloire ! Après tout, un trait de clémence est toujours grand au théâtre, et surtout quand cette clémence expose à quelque danger. Il faut, dit-on, sur la scène, être plus grand que nature. {Note de Voltaire.)