Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/26

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Je me décrasse, et j’achète au bailliage
L’emploi brillant de receveur royal
Dans le grenier à sel : ça n’est pas mal.
Mon fils sera conseiller, et ma fille
Relèvera quelque noble famille ;
Mes petits-fils deviendront présidents :
De monseigneur un jour les descendants
Feront leur cour aux miens ; et, quand j’y pense,
Je me rengorge, et me carre d’avance[1].

DIGNANT.

Carre-toi bien : mais songe qu’à présent
On ne peut rien sans le consentement
De monseigneur : il est encor ton maître.

MATHURIN.

Et pourquoi ça ?

DIGNANT.

Et pourquoi ça ? Mais c’est que ça doit être.
À tous seigneurs, tous honneurs.

COLETTE, à Mathurin.

À tous seigneurs, tous honneurs.Oui, vilain.
Il t’en cuira, je t’en réponds.

MATHURIN.

Il t’en cuira, je t’en réponds.Voisin,
Notre baillif t’a donné sa folie.
Eh ! dis-moi donc, s’il prend en fantaisie
À monseigneur d’avoir femme au logis,
A-t-il besoin de prendre ton avis ?

DIGNANT.

C’est différent ; je fus son domestique
De père en fils dans cette terre antique.
Je suis né pauvre, et je deviens cassé.
Le peu d’argent que j’avais amassé
Fut employé pour élever Acanthe.
Notre baillif dit qu’elle est fort savante,
Et qu’entre nous, son éducation
Est au-dessus de sa condition.
C’est ce qui fait que ma seconde épouse,
Sa belle-mère, est fâchée et jalouse,
Et la maltraite, et me maltraite aussi :
De tout cela je suis fort en souci.

  1. Voltaire se moque ici de la noblesse parlementaire. (G. A.)