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270 PRÉFACE DE L’ÉDITION DE PARIS.

ratour ne l’emporte point sur l’auteur ; car alors, au lieu de tragédies, on aurait la rareté, la curiosité.

La pièce qu’on soumet ici aux lumières des connaisseurs est simple, mais très-difficile à l)ien jouer : on ne la donne point au théâtre, parce qu’on ne la croit point assez bonne ; d’ailleurs, presque tous les rôles étant principaux, il faudrait un concert et un jeu de théâtre parfait pour faire supporter la pièce à la repré- sentation. Il y a plusieurs tragédies dans ce cas, telles que Brutus, Rome sauva’, la Mort de César, qu’il est impossible de bien jouer dans l’état de médiocrité où on laisse tomber le théâtre, faute d’avoir des écoles de déclamation, comme il y en eut chez les Grecs, et chez les Romains leurs imitateurs.

Le concert unanime des acteurs est très-rare dans a tragédie. Ceux qui sont chargés des seconds rôles ne prennent jamais de part à l’action ; ils craignent de contribuer à former un grand tableau ; ils redoutent le parterre, trop enclin à donner du ridicule à tout ce qui n’est pas d’usage. Très-peu savent distinguer le familier du naturel. D’ailleurs la misérable habitude de débiter des vers comme de la prose, de méconnaître le rhythme et l’harmonie, a presque anéanti l’art de la déclamation.

L’auteur, n’osant donc pas donner les Scijthrs au théâtre, ne présente cet ouvrage que comme une très-faible esquisse que quelqu’un des jeunes gens qui s’élèvent aujourd’hui pourra finir un jour.

On verra alors que tous les états de la vie humaine peuvent être représentés sur la scène tragique, en observant toujours toutefois les bienséances, sans lesquelles il n’y a point de vraies beautés chez les nations policées, et surtout aux yeux des cours éclairées.

Enfin l’auteur des Scythes s’est occupé pendant quarante ans du soin d’étendre la carrière de l’art. S’il n’y a pas réussi, il aura du moins dans sa vieillesse la consolation de voir son objet rempli par des jeunes gens qui marcheront d’un pas plus ferme que lui dans une route qu’il ne peut plus parcourir.