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274 PRÉFACE.

|)ût être, n’aurait pu tirer deux ou trois scènes ; que dis-je ? une seule qui eût pu contenter la délicatesse de la cour de Louis XIV.

Ce qui fait bien connaître le cœur humain, c’est que personne n’écrivit contre la Bh-hike de Corneille qu’on jouait en même temps, et (jue cent critiques se déchaînaient contre la Btrènice de Racine, Quelle en était la raison ? C’est qu’on sentait dans le fond de son cœur la supériorité de ce style naturel, auquel personne ne pouvait atteindre ; on sentait que rien n’est plus aisé que de coudre ensemble des scènes ampoulées, et rien de plus difficile que de bien parler le langage du cœur.

Racine, tant critiqué, tant poursuivi par la médiocrité et par l’envie, a gagné à la longue tous les suffrages. Le temps seul a vengé sa mémoire.

Nous avons vu des exemples non moins frappants de ce que peuvent la malignité et le préjugé, -Ir/t/f/iV/p du Gucsclhi fut rebutée dès le premier acte jusqu’au dernier. On s’est avisé, après plus de trente années S de la remettre au théâtre, sans y changer un seul mot, et elle y a eu le succès le plus constant.

Dans toutes les actions publiques, la réussite dépend beaucoup plus des accessoires que de la chose même. Ce qui entraîne tous les suffrages dans un temps aliène tous les esprits dans un autre. Il n’est qu’un seul genre pour lequel le jugement du public ne varie jamais, c’est celui de la satire grossière, qu’on méprise, même en s’en amusant quelques moments ; c’est cette critique acharnée et mercenaire d’ignorants qui insultent à prix fait aux arts qu’ils n’ont jamais pratiqués, qui dénigrent les tableaux du Salon sans avoir su dessiner, qui s’élèvent contre la musique de Rameau sans savoir solfier : misérables bourdons qui vont de ruche en ruche se faire chasser par les abeilles laborieuses !

1. Voyez Théâtre, tome II, page 76.