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284 LES SCYTHES.

SOZAME.

Ce souvenir honteux soulève encor mon cœur.

Ami, tout ce que peut l’adroite calomnie,

Pour m’arracher avionneur, la fortune et la vie,

Tout fut tenté par eux, et tout leur réussit :

Smerdis proscrit ma tête ; on partage, on ravit.

Mes emplois et mes biens, le prix de mon service^ :

Ma fille en fait sans peine un noble sacrifice,

Ne voit plus que son père ; et, subissant son sort.

Accompagne ma fuite et s’expose à la mort.

Nous partons ; nous marchons de montagne en abîme

Du ïaurus escarpé nous franchissons la cime.

Bientôt dans vos forêts, grâce au ciel parvenu,

J’y trouvai le repos qui m’était inconnu.

J’y voudrais être né. Tout mon regret, mon frère,

Est d’avoir parcouru ma fatale carrière

Dans les camps, dans les cours, à la suite des rois,

Loin des seuls citoyens gouvernés par les lois ;

Mais je sens que ma fille, aux déserts enterrée,

Du faste des grandeurs autrefois entourée,

Dans le secret du cœur pourrait entretenir

De ses honneurs passés l’importun souvenir ;

J’ai peur que la raison, l’amitié filiale.

Combattent faiblement l’illusion fatale,

Dont le charme trompeur a fasciné toujours

Des yeux accoutumés à la pompe des cours :

A’oilà ce qui tantôt, rappelant mes alarmes,

A rouvert un moment la source de mes larmes-.

HEUMODAN.

Que peux-tu craindre ici ? Qu’a-t-elle à regretter ? Nous valons pour le moins ce qu’elle a su quitter : Elle est libre avec nous, applaudie, honorée ; D’aucuns soins dangereux sa paix n’est altérée. La franchise qui règne en notre heureux séjour Fait mépriser les fers et l’orgueil de ta cour,

SOZAME.

Je mourrais trop content si ma chère Obéide Haïssait comme moi cette cour si perfide.

1. Voltaire raconte ici sa propre histoire, avant son refuge en Suisse. (G. A.) ’2. M""= Denis, sa nièce, regretta longtemps Paris, et c’est pour la distraire que le philosophie eut à Ferney un si grand train de maison.