Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/408

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Mais est-ce un simple goût, une inclination ?

LE JEUNE GOURVILLE.

Du moins pour le présent c’est une passion.
Un certain avocat pour mari se propose :
Mais auprès de la fille il a perdu sa cause.


NINON.

Je crois que mieux que lui vous avez su plaider.

LE JEUNE GOURVILLE.

Je suis assez heureux pour la persuader.

NINON.

Sans doute vous flattez et le père et la mère,
Et jusqu’à l’avocat ; c’est le grand art de plaire.

LE JEUNE GOURVILLE.

J’y mets comme je puis tous mes petits talents.
Le père aime le vin.

NINON.

C’est un vice du temps,
La mode en passera. Ces buveurs me déplaisent ;
Leur gaîté m’assourdit, leurs vains discours me pèsent,
J’aime peu leurs chansons, et je hais leur fracas ;
La bonne compagnie en fait très peu de cas.

LE JEUNE GOURVILLE.

La mère Agnant est brusque, emportée, et revêche,
Sotte, un oison bridé devenu pie-grièche,
Bonne diablesse au fond.

NINON.

Oui, voilà trait pour trait
De nos très sots voisins le fidèle portrait.
Mais on doit se plier à souffrir tout le monde,
Les plats et lourds bourgeois dont cette ville abonde,
Les grands airs de la cour, les faux airs de Paris,
Nos étourdis seigneurs, nos pincés beaux-esprits :
C’est un mal nécessaire, et que souvent j’essuie :
Pour ne pas trop déplaire il faut bien qu’on s’ennuie.

LE JEUNE GOURVILLE.

Mais Sophie est charmante, et ne m’ennuiera pas.

NINON.

Ah ! je vous avouerai qu’elle est pleine d’appas :
Aimez-la, quittez-la, mon amitié tranquille
A vos goûts, quels qu’ils soient, sera toujours facile.
A la droite raison dans le reste soumis,
Changez de voluptés, ne changez point d’amis ;