Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/409

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Soyez homme d’honneur, d’esprit et de courage,
Et livrez-vous sans crainte aux erreurs du bel âge.
Quoi qu’en disent l’Astrée, et Clélie, et Cyrus[1],
L’amour ne fut jamais dans le rang des vertus ;
L’amour n’exige point de raison, de mérite[2].
J’ai vu des sots qu’on prend, des gens de bien qu’on quitte.
Je fus, et tout Paris l’a souvent publié,
Infidèle en amour, fidèle en amitié.
Je vous chéris, Gourville, et pour toute ma vie.
Votre père n’eut pas de plus constante amie :
Dans des temps malheureux il arrangea mon bien,
Je dois tout à ses soins sans lui je n’aurais rien.
Vous savez à quel point j’avais sa confiance.
C’est un plaisir pour moi que la reconnaissance ;
Elle occupe le cœur : je n’ai point de parents ;
Et votre frère et vous me tenez lieu d’enfants.


LE JEUNE GOURVILLE.

Votre exemple m’instruit, votre bonté m’accable.
Ninon dans tous les temps fut un homme estimable.


NINON.

Parlons donc, je vous prie, un peu solidement.
Vous n’êtes pas, je crois, fort en argent comptant ?

LE JEUNE GOURVILLE.

Pas trop.


NINON.

Voici le temps où de votre fortune
Le nœud très délicat, l’intrigue peu commune,
Grâce à monsieur Garant, pourra se débrouiller.

LE JEUNE GOURVILLE.

Ce bon monsieur Garant me fait toujours bailler.
Il est si compassé, si grave, si sévère !
Je rougis devant lui d’être fils de mon père.
Il me fait trop sentir que, par un sort fâcheux,
Il manque à mon baptême un paragraphe ou deux.

NINON.

On omit, il est vrai, le mot de légitime.
Gourville, votre père, eut la publique estime ;

  1. L’Astrée est un roman de d’Urfé ; Arlamène, ou le grand Cyrus, et Clélie, sont de Mlle de Scudéri. (B.)
  2. Ce sont les propres paroles de Ninon dans le petit livre de l’abbé de Chàteauneuf. (Note de Voltaire.)