Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/410

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Il eut mille vertus, mais il eut, entre nous,
Pour les beaux nœuds d’hymen de merveilleux dégoûts.
La rigueur de la loi (peut-être un peu trop sage)
A votre frère, à vous, ravit tout héritage.
Vous ne possédez rien ; mais ce monsieur Garant,
Son banquier autrefois, et son correspondant,
Pour deux cent mille francs étant son légataire,
N’en est, vous le savez, que le dépositaire.
Il fera son devoir ; il l’a dit devant moi :
L’honneur est plus puissant, plus sacré que la loi.

LE JEUNE GOURVILLE.

Je voudrais que l’honneur fût un peu plus honnête.
Cet homme de sermons me rompt toujours la tête :
Directeur d’hôpitaux, syndic, et marguillier,
Il n’a daigné jamais avec moi s’égayer.
Il prétend que je suis une tête légère,
Un jeune dissolu, sans mœurs, sans caractère,
Jouant, courant le bal, les filles, les buveurs :
Oui, je suis débauché ; mais, parbleu, j’ai des mœurs ;
Je ne dois rien ; je suis fidèle à mes promesses ;
Je n’ai jamais trompé, pas même mes maîtresses ;
Je bois sans m’enivrer ; j’ai tout payé comptant ;
Je ne vais point jouer quand je n’ai point d’argent.
Tout marguillier qu’il est, ma foi, je le défie
De mener dans Paris une meilleure vie.

NINON.

Il est un temps pour tout.

LE JEUNE GOURVILLE.

Monsieur mon frère aîné,
Je l’avoue, a l’esprit tout autrement tourné.
Il est sage et profond ; sa conduite est austère ;
Il lit les vieux auteurs, et ne les entend guère ;
Il méprise le monde : eh bien ! qu’il soit un jour,
Pour prix de ses vertus, marguillier à son tour ;
Et que monsieur Garant, qui dans tout le gouverne,
Lui donne plus qu’à moi. Ce qui seul me concerne,
C’est le plaisir ; l’argent, voyez-vous, ne m’est rien ;
Je suis assez content d’un honnête entretien.
L’avarice est un monstre ; et, pourvu que je puisse
Supplanter l’avocat, mon sort est trop propice.

NINON.

Tout réussit aux gens qui sont doux et joyeux.