Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/421

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Ce goût pour la retraite, et cette austérité,
Ne produisent bientôt quelque calamité.
Pour ce monsieur Garant sa pleine confiance
Alarme ma tendresse, accroît ma défiance :
Souvent un esprit gauche en sa simplicité,
Croyant faire le bien, fait le mal par bonté.


LE JEUNE GOURVILLE.

Oh ! Je vais de ce pas laver sa tête aînée ;
De sa sotte raison la mienne est étonnée ;
Je lui parlerai net, et je veux, à la fin,
Pour le débarbouiller, en faire un libertin.


NINON.

Puissiez-vous tous les deux être plus raisonnables !
Mais le monde aime mieux des erreurs agréables,
Et d’un esprit trop vif la piquante gaîté,
Qu’un précoce Caton, de sagesse hébété,
Occupé tristement de mystiques systèmes,
Inutile aux humains, et dupe des sots mêmes.


LE JEUNE GOURVILLE.

Il faut vous avouer qu’avec discrétion,
Dans mes amours nouveaux, je me sers de son nom,
Afin que si la mère a jamais connaissance
Des mystères secrets de notre intelligence,
Aux mots de syndérèse et de componction,
La lettre lui paraisse une exhortation,
Un essai de morale envoyé par mon frère.
Nous écrivons tous deux d’un même caractère ;
En un mot, sous son nom j’écris tous mes billets ;
En son nom, prudemment, les messages sont faits.
C’est un fort grand plaisir que ce petit mystère.

NINON.

Il est un peu scabreux, et je crains cette mère.
Prenez bien garde, au moins, vous vous y méprendrez.
Vos discours de vertu seront peu mesurés ;
Tout sera reconnu.


LE JEUNE GOURVILLE.

Le tour est assez drôle.

NINON.

Mais c’est du loup berger[1] que vous jouez le rôle.

  1. La Fontaine, livre III, fable iii