Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/420

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Madame, il ne m’a pas seulement regardée.


En élevant la voix.

« J’apporte de l’argent, monsieur, qui vous est dû ;
Monsieur, c’est de l’argent. » Il n’a rien répondu :
Il a continué de feuilleter, d’écrire.
J’ai fait, avec Picard, un grand éclat de rire :
Ce bruit l’a réveillé. « Voilà deux mille écus,
Monsieur, que ma maîtresse avait pour vous reçus.
— Hem ! Qui ? Quoi ? M’a-t-il dit ; allez chez les notaires ;
Je n’ai jamais, ma bonne, entendu les affaires
Je ne me mêle point de ces pauvretés-là.
— Monsieur, ils sont à vous, prenez-les, les voilà. »
Il a repris soudain papier, plume, écritoire.


PICARD., l’interrompant, a demandé pour boire.

« Pourquoi boire ? A-t-il dit, fi ! Rien n’est si vilain
Que de s’accoutumer à boire si matin ! »
Enfin il a compris ce qu’il devait entendre :
« Voilà les sacs, dit-il, et vous pouvez y prendre
Tout ce qu’il vous plaira pour la commission. »
Nous avons pris, madame, avec discrétion.
Il n’a pas un moment daigné tourner la tête
Pour voir de nos cinq doigts la modestie honnête ;
Et nous sommes partis avec étonnement,
Sans recevoir pour vous le moindre compliment.
Avez-vous vu jamais un mortel plus bizarre ?


NINON.

Il en faut convenir, son caractère est rare.
La nature a conçu des desseins différents,
Alors que son caprice a formé ces enfants.
Un contraste parfait est dans leurs caractères ;
Et le jour et la nuit ne sont pas plus contraires.


LE JEUNE GOURVILLE.

Je l’aime cependant du meilleur de mon cœur.


LISETTE.

Moi, de tout mon pouvoir je l’aime aussi, monsieur ;
J’ai toujours remarqué, sans trop oser le dire,
Que vous aimez assez les gens qui vous font rire.


NINON.

Je ne ris point de lui, Lisette, je le plains :
Il a le cœur très bon, je le sais ; mais je crains
Que cette aversion des plaisirs et du monde,
Des usages, des mœurs, l’ignorance profonde,