Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/434

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Se formerait bientôt de nos biens rassemblés,
Loin de ces deux marmots du logis exilés !
Les deux cent mille francs, croissant notre fortune,
Entreraient de plein saut dans la masse commune ;
Vous pourriez employer votre art persuasif
A nous faire obtenir un poste lucratif.
Vous seriez dans le monde avec plus d’importance ;
Il faut que le crédit augmente votre aisance ;
Que des prudes surtout la noble faction,
Célébrant de vos mœurs la réputation,
Et s’enorgueillissant d’une telle conquête,
A vous bien épauler se tienne toujours prête.
Avec un pot-de-vin j’aurais par ce canal
Un fortuné brevet de fermier général.
Nous pourrions sourdement, sans bruit, sans peine aucune,
Placer à cent pour cent ma petite fortune ;
Et votre rare esprit tout bas se moquerait
De tout le genre humain qui vous respecterait.
Vous ne répondez rien ?

NINON.

C’est que je considère
Avec maturité cette sublime affaire.
Vous voulez m’épouser ?

MONSIEUR GARANT.

Sans doute, je voudrais
Payer de tout mon bien tant d’esprit, tant d’attraits :
C’est à quoi j ai pensé dès que mon sort prospère
De deux cent mille francs me nomma légataire.

NINON.

Vous m’aimez donc un peu ?

MONSIEUR GARANT.

J’ai combattu longtemps
Les inspirations de ces désirs puissants ;
Mais en les combattant avec justesse extrême,
En m’examinant bien, comptant avec moi-même,
Calculant, rabattant, j’ai vu pour résultat
Qu’il est temps en effet que vous changiez d’état,
Que nous nous convenons, et qu’un amour sincère,
Soutenu par le bien, ne doit pas vous déplaire.

NINON.

Je ne m’attendais pas à cet excès d’honneur.
Peut-être on vous a dit quelle était mon humeur.