Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/46

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Qu’un riche rustre ait les tendres prémices
D’une beauté qui ferait les délices
Des plus huppés et des plus délicats.
Pour le marquis, il ne se hâte pas :
C’est, je l’avoue, un grave personnage,
Pressé de rien, bien compassé, bien sage,
Et voyageant comme un ambassadeur.
Parbleu, jouons un tour à sa lenteur :
Tiens, il me vient une bonne pensée,
C’est d’enlever presto la fiancée,
De la conduire en quelque vieux château,
Quelque masure.

CHAMPAGNE.

Quelque masure. Oui, le projet est beau.

LE CHEVALIER.

Un vieux château, vers la forêt prochaine,
Tout délabré, que possède Dormène,
Avec sa vieille…

CHAMPAGNE.

Avec sa vieille… Oui, c’est Laure, je crois.

LE CHEVALIER.

Oui.

CHAMPAGNE.

Oui. Cette vieille était jeune autrefois ;
Je m’en souviens, votre étourdi de père
Eut avec elle une certaine affaire.
Où chacun d’eux fit un mauvais marché.
Ma foi, c’était un maître débauché
Tout comme vous, buvant, aimant les belles,
Les enlevant, et puis se moquant d’elles.
Il mangea tout, et ne vous laissa rien.

LE CHEVALIER.

J’ai le marquis, et c’est avoir du bien ;
Sans nul souci je vis de ses largesses.
Je n’aime point l’embarras des richesses :
Est riche assez qui sait toujours jouir.
Le premier bien, crois-moi, c’est le plaisir.

CHAMPAGNE.

Eh ! que ne prenez-vous cette Dormène ?
Bien plus qu’Acanthe elle en vaudrait la peine ;
Elle est très-fraîche, elle est de qualité ;
Cela convient à votre dignité :