Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/512

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

502 DISCOURS HISTORIQUE ET CRITIQUE.

des Gaules du dix-huitième siècle de notre ère vulgaire ; s’ils oubliaient que les Provinces-Unies doivent leur opulence à cette tolérance humaine ; r.Vngleterre, sa puissance ; l’Allemagne, sa paix intérieure ; la Russie, sa grandeur, sa nouvelle population, sa force ; si ces faux politiques s’effarouchent d’une vertu que la nature enseigne, s’ils osent s’élever contre cette vertu, qu’ils songent au moins qu’elle est recommandée par Sévère dans Pohjeucte^ :

J’approuve cependant que chacun ait ses dieux.

Qu’ils avouent que, dans les Guchirs, ce droit naturel est bien plus restreint dans des limites raisonnables :

Que chacun dans sa loi cherche en paix la lumière ^ ; Mais la loi de l’État est toujours la première.

Aussi ces vers ont été toujours reçus avec une approbation universelle partout où la pièce a été représentée^ Ce qui est approuvé par le suffrage de tous les hommes est sans doute le bien de tous les hommes.

L’empereur, dans la tragédie des Guèbres, n’entend point et ne peut entendre, par le mot de tolérance, la licence des opinions contraires aux mœurs, les assemblées de débauche, les confréries fanatiques ; il entend cette indulgence qu’on doit à tous les citoyens qui suivent en paix ce que leur conscience leur dicte, et qui adorent la Divinité sans troubler la société. Il ne veut pas qu’on punisse ceux qui se trompent comme on punirait des parricides. Un code criminel fondé sur une loi si sage abolirait des horreurs qui font frémir la nature : on ne verrait plus des pré- jugés tenir lieu de lois divines ; les plus absurdes délations devenir des convictions ; une secte accuser continuellement une autre secte d’immoler ses enfants ; des actions indifférentes en elles-mêmes portées devant les tribunaux comme d’énormes attentats ; des opinions simplement philosophiques traitées de crimes de lèse-majesté divine et humaine ; un pauvre gentilhomme condamné à la mort pour avoir soulagé la faim dont il était pressé en

1. Acte V, scène dernière.

2. Les Guèbres, acte V, scène vi.

3. C’est une supposition de l’auteur, qui avait grande envie de la faire jouer à Paris. Il fut question de la reprôsentor à Lyon, à Toulouse ; cette tragédie n’a pu même être représentée sur le théâtre de Ferney (voyez page iSS) ; c’eût été trahir Yincognito de l’auteur. (B.)