Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/87

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L’amant de Laure est mort assassiné.
De maux cruels quel tissu lamentable !
Acanthe, hélas ! n’en est pas moins aimable,
Moins vertueuse ; et je sais que son cœur
Est respectable au sein du déshonneur ;
Il ennoblit la honte de ses pères ;
Et cependant, ô préjugés sévères !
Ô loi du monde ! injuste et dure loi !
Vous l’emportez…


Scène IX.



LE MARQUIS, DORMÈNE.


LE MARQUIS.

Vous l’emportez… Madame, instruisez-moi ;
Parlez, madame ; avez-vous vu son frère ?

DORMÈNE.

Oui, je l’ai vu ; sa douleur est sincère.
Il est bien étourdi ; mais, entre nous,
Son cœur est bon ; il est conduit par vous.

LE MARQUIS.

Eh ! mais Acanthe !

DORMÈNE.

Eh ! mais Acanthe ! Elle ne peut connaître
Jusqu’à présent le sang qui la fit naître.

LE MARQUIS.

Quoi ! sa naissance illégitime !…

DORMÈNE.

Quoi ! sa naissance illégitime !… Hélas !
Il est trop vrai.

LE MARQUIS.

Il est trop vrai.Non, elle ne l’est pas.

DORMÈNE.

Que dites-vous ?

LE MARQUIS, relisant un papier qu’il a gardé.

Que dites-vous ? Sa mère était sans crime ;
Sa mère au moins crut l’hymen légitime ;
On la trompa ; son destin fut affreux.
Ah ! quelquefois le ciel moins rigoureux
Daigne approuver ce qu’un monde profane
Sans connaissance avec fureur condamne.

DORMÈNE.

Laure n’est point coupable, et ses parents
Se sont conduits avec elle en tyrans.

LE MARQUIS.

Mais marier sa fille en un village !
À ce beau sang faire un pareil outrage !

DORMÈNE.

Elle est sans biens ; l’âge, la pauvreté,
Un long malheur abaisse la fierté.