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LE MARQUIS.

Elle est sans biens ! votre noble courage
La recueillit.

DORMÈNE.

La recueillit. Sa misère partage
Le peu que j’ai.

LE MARQUIS.

Le peu que j’ai. Vous trouvez le moyen,
Ayant si peu, de faire encor du bien.
Riches et grands, que le monde comtemple,
Imitez donc un si touchant exemple.
Nous contentons à grands frais nos désirs ;
Sachons goûter de plus nobles plaisirs.
Quoi ! pour aider l’amitié, la misère,
Dormène a pu s’ôter le nécessaire ;
Et vous n’osez donner le superflu !
Ô juste ciel ! qu’avez-vous résolu ?
Que faire enfin ?

DORMÈNE.

Que faire enfin ? Vous êtes juste et sage.
Votre famille a fait plus d’un outrage
Au sang de Laure ; et ce sang généreux
Fut par vous seuls jusqu’ici malheureux.

LE MARQUIS.

Comment ? comment ?

DORMÈNE.

Comment ? comment ? Le comte votre père,
Homme inflexible en son humeur sévère,
Opprima Laure, et fit par son crédit
Casser l’hymen ; et c’est lui qui ravit
À cette Acanthe, à cette infortunée,
Les nobles droits du sang dont elle est née.

LE MARQUIS.

Ah ! c’en est trop… mon cœur est ulcéré.
Oui, c’est un crime… il sera réparé,
Je vous le jure.

DORMÈNE.

Je vous le jure. Et que voulez-vous faire ?

LE MARQUIS.

Je veux…

DORMÈNE.

Je veux… Quoi donc ?

LE MARQUIS.

Je veux…
Mais… lui servir de père.


DORMÈNE.

Elle en est digne.

LE MARQUIS.

Elle en est digne.
Oui… mais je ne dois pas

Aller trop loin.

DORMÈNE.

Aller trop loin. Comment, trop loin ?

LE MARQUIS.

Aller trop loin. Comment, trop loin ? Hélas !…
Madame, un mot ; conseillez-moi de grâce ;