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Traité ſur la Tolérance. Chap. I.

amenait elle-même ces victimes pour être ſacrifiées à notre ſainte Religion. Vingt personnes ont entendu ces diſcours, & de plus violents encore. Et c’eſt de nos jours ! & c’eſt dans un temps où la Philoſophie a fait tant de progrès ! & c’eſt lorſque cent Académies écrivent pour inſpirer la douceur des mœurs ! Il ſemble que le fanatiſme, indigné depuis peu des ſuccès de la raiſon, ſe débatte ſous elle avec plus de rage.

Treize Juges s’aſſemblèrent tous les jours pour terminer le Procès. On n’avait, on ne pouvait avoir aucune preuve contre la famille ; mais la Religion trompée tenait lieu de preuve. Six Juges perſiſtèrent longtemps à condamner Jean Calas, son fils, & Lavaiſſe à la roue, & la femme de Jean Calas au bucher. Sept autres, plus modérés, voulaient au moins qu’on examinât. Les débats furent réitérés & longs. Un des Juges, convaincu de l’innocence des accusés, & de l’impoſſibilité du crime, parla vivement en leur faveur ; il oppoſa le zèle de l’humanité au zèle de la ſévérité ; il devint l’Avocat public des Calas dans toutes les maisons de Toulouſe, où les cris continuels de la Religion abuſée demandaient le ſang de ces infortunés. Un autre Juge, connu par ſa violence, parlait dans la Ville avec autant d’emportement contre les Calas, que le premier montrait d’empreſſement à les défendre. Enfin l’éclat fut ſi grand, qu’ils