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Traité ſur la Tolérance. Chap. IX.

de ſi loin pour ſa religion, puiſqu’il laiſſait en paix Corneille qui vivait ſous ſes yeux.

Tant de cauſes ſecrètes ſe mêlent ſouvent à la cauſe apparente, tant de reſſorts inconnus ſervent à perſécuter un homme, qu’il eſt impoſſible de démêler, dans les ſiècles poſtérieurs, la ſource cachée des malheurs des hommes les plus conſidérables, à plus forte raiſon celle du ſupplice d’un Particulier qui ne pouvait être connu que par ceux de ſon parti.

Remarquez que St. Grégoire Taumaturge, & St. Denis, Évêque d’Alexandrie, qui ne furent point ſuppliciés, vivaient dans le temps de St. Cyprien. Pourquoi, étant auſſi connus pour le moins que cet Évêque de Carthage, demeurèrent-ils paiſibles ? & pourquoi St. Cyprien fut-il livré au ſupplice ? N’y a-t-il pas quelque apparence que l’un ſuccomba ſous des ennemis perſonnels & puiſſants, ſous la calomnie, ſous le prétexte de la raiſon d’Etat, qui ſe joint ſi ſouvent à la Religion, & que les autres eurent le bonheur d’échapper à la méchanceté des hommes ?

Il n’eſt guères poſſible que la ſeule accuſation de Chriſtianiſme ait fait périr St. Ignace, ſous le clément & juſte Trajan, puiſqu’on permit aux Chrétiens de l’accompagner & de le conſoler quand on le conduiſit

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