Page:Voragine - Légende dorée.djvu/477

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en guise d’eau, et ne s’en aperçut que lorsque des frères lui firent observer que ses lèvres n’étaient pas mouillées. Une autre fois, et pendant plusieurs jours de suite, il mangea du sang caillé en croyant manger du beurre. L’eau seule lui plaisait, en lui rafraîchissant la bouche et la gorge.

Tout ce qu’il savait sur les saints mystères, il disait qu’il l’avait appris en méditant dans les bois. Et il aimait à dire à ses amis que ses seuls professeurs avaient été les chênes et les hêtres. Un jour, — comme il le raconte lui-même dans ses écrits, — il essayait de graver d’avance, dans son esprit, les paroles qu’il dirait à ses frères ; mais voici qu’une voix lui dit : « Aussi longtemps que tu garderas en toi cette idée-là, tu n’en auras point d’autres ! » Dans ses vêtements, il aimait la pauvreté, mais non la malpropreté, disant de celle-ci qu’elle était signe ou de négligence, ou de vanité intérieure, ou de recherche de la gloire extérieure. Il avait toujours présent à l’esprit ce proverbe, qu’il répétait volontiers : « Celui qui fait ce que personne ne fait, tout le monde le remarque ! » Aussi ne porta-t-il un cilice que tant qu’il put le faire secrètement ; mais, dès qu’il vit que la chose était connue, il rejeta son cilice pour faire comme tout le monde.

Il ne cessait point de montrer, par son exemple, qu’il possédait les trois genres de patience, qui consistaient, suivant lui, à supporter les injures, la perte des biens et la peine corporelle. Un évêque, qu’il avait amicalement admonesté dans une lettre, lui répondit, avec une amertume insensée, par une lettre qui commençait ainsi : « Salut à toi, et non pas blasphème ! » — comme s’il donnait à entendre que la lettre de Bernard avait contenu des blasphèmes. Mais Bernard se borna à répondre qu’il ne croyait pas avoir en lui l’esprit de blasphème, et que jamais il n’avait maudit personne, ni surtout un prince de l’Église. Une autre fois, un abbé lui envoya six cents marcs pour la construction d’un monastère ; mais toute la somme fut prise, en route, par des voleurs. Ce qu’apprenant, il se borna à dire : « Béni soit Dieu,