Page:Voragine - Légende dorée.djvu/668

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qui suffirait bien pour que personne ne s’avisât plus de me prendre pour femme ! » Et, en effet, comme son oncle l’avait fait conduire dans un château d’où il lui défendait de sortir, voici que, sur l’ordre de Dieu, les restes de son mari furent ramenés de Terre Sainte. Et force fut à l’évêque de la laisser partir, pour aller à la rencontre de ces chères reliques.

Alors Élisabeth revêtit l’habit religieux, et, se vouant à la pauvreté, forma le projet d’aller mendier de porte en porte ; mais maître Conrad le lui défendit. Elle ne porta plus désormais qu’un humble manteau gris ; et comme les manches de sa tunique s’étaient déchirées, elle les rapiéça avec une étoffe d’une autre couleur. Ce qu’apprenant ; son père, le roi de Hongrie, lui envoya un de ses officiers, pour qu’il la ramenât dans sa patrie. Et l’officier, la voyant ainsi vêtue et assise à son rouet avec des servantes, fut rempli à la fois de honte et de respect. Et il s’écria que jamais encore fille de roi n’avait porté une robe si grossière. Mais en vain il insista pour la ramener en Hongrie. La sainte préféra rester, pauvre ; parmi ses pauvres.

Pour achever de faire disparaître tout obstacle entre Dieu et elle, elle pria Dieu d’arracher même de son cœur la tendresse qu’elle avait pour ses enfants. Et une voix d’en haut lui répondit que sa prière était exaucée. Sur quoi elle dit à ses compagnes : « Le Seigneur a entendu ma voix, car non seulement tous les biens temporels m’apparaissent comme du fumier, mais voici que de mes fils même je ne me soucie plus que dans la mesure où je me soucie du reste des hommes ! » De son côté, maître Conrad, pour l’éprouver et la mortifier, la séparait des personnes qu’elle aimait le mieux. C’est ainsi qu’il lui enjoignit de ne plus voir deux servantes qu’elle connaissait depuis l’enfance, et qu’elle aimait plus que toutes les autres. Et la sainte obéit, après bien des larmes versées de part et d’autre. Elle était prompte à l’obéissance. Un jour qu’elle était entrée dans un couvent de religieuses sans en avoir obtenu l’autorisation de maître Conrad, celui-ci la fit battre si durement ; que, trois semaines