Page:Wagner - À Mathilde Wesendonk, t1, 1905, trad. Khnopff.djvu/57

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vers l’avenir ou vers le passé se heurtait toujours à des images funèbres, et la vie telle quelle perdait pour moi son dernier attrait. Tenu d’observer envers la malheureuse femme les plus extrêmes ménagements, je n’en devais pas moins me résoudre à détruire notre foyer domestique et, pour sa plus grande consternation, lui communiquer cette décision.

Figure-toi mon état d’esprit, alors que je contemplais, par ce magnifique été, ce bel « Asile », si parfaitement, si uniquement conforme à mes désirs, à mes aspirations d’autrefois, alors que je me promenais, le matin, dans le joli petit jardin, admirant le trésor des fleurs toujours plus riche, écoutant la fauvette qui s’était construit un nid dans le rosier ! Et ce qu’il m’en coûtait de m’arracher à cette ancre dernière, imagine-le donc, toi qui me connais à fond, mieux que personne !

Crois-tu, qu’ayant déjà fui loin du monde un jour, je pourrais y retourner maintenant ? Maintenant que tout en moi est devenu extraordinairement tendre, sensible, par la désaccoutumance toujours plus prolongée de tout contact avec lui ? Ma dernière entrevue avec le grand-duc de Weimar me prouva aussi, plus clairement que jamais, que l’indépendance absolue est la seule condition pour ma vie et pour mon travail, de telle sorte qu’il me faut renoncer, au plus profond de moi, à toute obligation, même

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