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sont répandues dans les masses, le socialisme a fait de nombreux adeptes ; et cependant nous ne nous croyons plus guère à la porte du monde nouveau ; nous ne faisons plus que l’entrevoir dans nos rêves, comme une possibilité lointaine que quelques uns de nos descendants auront peut-être le bonheur de réaliser. Pour concevoir l’état d’âme des enthousiastes à cette époque il faut se représenter l’effervescence des esprits pendant les « années 40 », Rarement l’on vit se produire une aussi tumultueuse précipitation d’idées : l’esprit humain achevait de se délivrer, il faisait table rase du passé, il déclarait hautement son indépendance, il ne voulait plus être soumis à aucun maître, qu’il se nommât dieu, prince, loi ou principe. Que l’on songe à la gauche hégélienne, à Feuerbach, à Proudhon, à Bakounine, que l’on se rappelle que dès 1844 parut « Der Einzige und sein Eigentum » de Stirner, livre qui contient tout le côté critique ou destructif de l’anarchisme actuel, dont le contenu est aujourd’hui encore constitué non par des idées précises mais uniquement par des sentiments et des impulsions, — et l’on saisira cet état d’orgasme des esprits conscients qui s’étaient purifiés de toute trace des esclavages passés et qui, oublieux des obstacles, croyaient le monde mûr comme eux-mêmes pour une vie nouvelle.

En 1846 déjà Wagner s’était assimilé les