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festations, y voyaient en même temps une supercherie, et bien que, à cause de leur soif toujours grandissante de plaisir, ce monde mercantile leur semblât un mal nécessaire, ils nourrissaient un profond mépris de ses pratiques : ainsi pour eux le dieu des marchands. Mercure, devint également le dieu des trompeurs et des fripons.

Mais ce dieu méprisé se vengea des Romains orgueilleux, et s’érigea à leur place en maître du monde : couronnez sa tête de l’auréole de l’hypocrisie chrétienne, ornez sa poitrine de l’inane insigne d’ordres de chevalerie féodaux trépassés, et vous l’aurez le dieu du monde moderne, le très saint et très noble dieu du cinq pour cent, le chef et l’ordonnateur des fêtes de notre « art » d’aujourd’hui. Vous le voyez devant vous, en chair et en os, dans la personne d’un banquier anglais bigot, dont la fille a épousé un chevalier de l’ordre de la jarretière ruiné, faisant chanter en sa présence les premiers chanteurs de l’opéra italien, dans son salon plutôt qu’au théâtre (bien entendu même là en aucun cas le saint jour du dimanche), parce qu’il a la gloire de les devoir payer là plus cher encore qu’ici. Voilà Mercure et son docile serviteur l’art moderne.

Voilà l’art, tel qu’il remplit à présent tout le monde civilisé ! Sa véritable essence est l’industrie, son but moral le gain, son prétexte