Page:Wagner - L’Art et la Révolution, 1898, trad. Mesnil.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 72 —

unique, toute séparation des éléments en diverses directions particulières, ne pouvait être que nuisible à cette œuvre d’art splendidement unique, comme à l’État même, constitué d’un façon analogue, et c’est pourquoi elle pouvait seulement continuer à fleurir, mais non se modifier. En conséquence l’art était conservateur, comme les hommes les plus nobles de l’État grec à la même époque étaient conservateurs, et Eschyle est l’expression la plus caractéristique de ce conservatisme : son œuvre conservatrice la plus belle est l’Orestie par laquelle il prit position comme poète vis-à-vis du jeune Sophocle, en même temps que comme homme d’État vis-à-vis du révolutionnaire Périclès. La victoire de Sophocle, comme celle de Périclès, était dans l’esprit de l’évolution progressive de l’humanité ; mais la défaite d’Eschyle fut le premier pas fait vers la décadence de la tragédie grecque, le premier moment de la dissolution de l’état athénien.

Avec la décadence ultérieure de la tragédie, l’Art perdit toujours davantage son caractère d’expression de la conscience publique : le drame se résolut en ses parties intégrantes : rhétorique, sculpture, peinture, musique, etc, abandonnèrent la ronde où elles avaient dansé à l’unisson, et chacune suivit désormais son chemin, et continua à se développer par elle-même, mais solitairement, égoistement. Et