Page:Wagner - Quatre Poèmes d’opéras, 1861.djvu/63

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parties ; qu’il se voie arraché violemment à toutes les habitudes qu’il porte aux représentations musicales ; qu’il ne puisse reconnaître pour identique avec sa mélodie bien-aimée ce qui ne saurait, dans l’hypothèse la plus heureuse, lui paraître qu’un ennoblissement du bruit musical, de ce bruit, qui dans son emploi le plus naïf, lui facilitait autrefois une conversation agréable, tandis qu’il l’importune aujourd’hui de sa prétention d’être entendu réellement ; le moyen de savoir à ce public mauvais gré de sa stupeur et de son épouvante ? À coup sûr il demanderait à cris redoublés sa douzaine ou sa demi-douzaine de mélodies, ne fût ce qu’afin que la musique des intervalles amenât et protégeât la conversation, la chose capitale assurément d’une soirée d’opéra.

En vérité, ce qu’un préjugé bizarre a fait passer pour richesse doit paraître à tout esprit éclairé une pauvreté. Les bruyantes exigences fondées sur cette erreur peuvent être pardonnées à la masse du public ; elles ne sauraient l’être aux critiques. Cherchons donc à nous entendre, autant que possible, sur cette erreur et sur ce qui lui a donné naissance.

Posons d’abord que l’unique forme de la musique est la mélodie, que sans la mélodie la musique ne peut pas même être conçue, que musique et mélodie sont rigoureusement inséparables. Dire d’une musique qu’elle est sans mélodie, cela veut dire seulement, pris dans l’acception la plus élevée : le musicien n’est pas parvenu au parfait dégagement d’une forme saisissante, qui gouverne avec sûreté le sentiment. Et ceci indique simplement que le compositeur est destitué de talent, et que ce