Page:Wagner - Quatre Poèmes d’opéras, 1861.djvu/62

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— LIV —

Vous entendez nos agréables dilettanti crier incessamment, et de leur voix la plus perçante « La mélodie ! la mélodie ! » Ce cri est pour moi la preuve qu’ils puisent leur idée de la mélodie dans des œuvres où se rencontrent, à côté de la mélodie, des passages sonores sans mélodie aucune, et qui servent avant tout à mettre la mélodie, telle qu’ils l’entendent, dans ce jour qui leur est si cher. L’opéra réunissait en Italie un public qui consacrait sa soirée à l’amusement, et se donnait, entre autres amusements, celui de la musique chantée sur la scène ; on prêtait de temps en temps l’oreille à cette musique, lorsqu’on faisait un pause dans la conversation ; pendant la conversation et les visites réciproques d’une loge à l’autre, la musique continuait : son emploi était celui qu’on réserve à la musique de table dans les dîners d’apparat, savoir, d’animer, d’exciter par son bruit l’entretien qui languirait sans elle. La musique qui est jouée dans ce but et pendant ces conversations forme le fond proprement dit d’une partition italienne ; au contraire la musique qu’on écoute réellement ne remplit pas peut-être un douzième de la partition. L’opéra italien doit contenir au moins un air qu’on écoute volontiers ; pour son succès, il faut que la conversation soit interrompue et qu’on puisse écouter avec intérêt au moins six fois. Mais le compositeur qui sait fixer l’attention des auditeurs sur sa musique jusqu’à douze fois, est déclaré homme de génie et vanté comme un créateur de mélodies inépuisable. Maintenant qu’un tel public se trouve tout à coup en présence d’un ouvrage qui prétend à une égale attention pendant toute sa durée et pour toutes ses