Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/117

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la nuit, ayant manqué le train direct et où une horrible indisposition me força le lendemain matin à ajourner mon voyage. Pourtant je me remis assez vite pour pouvoir me rendre l’après-midi auprès du jeune roi. Dès lors, tout fut clair et précis : le rideau était levé. Quelques jours après je continuai mon voyage ; ce que seule aurait pu atteindre une énergie désespérée jointe à l’abnégation de soi-même, ne fut plus qu’une petite affaire à régler. Je revins avec mes domestiques et mon fidèle chien dans ma nouvelle et dernière patrie où, porté par le plus divin des amours, je jouis du bonheur merveilleux que nous avons enfanté dans cette nuit de fièvre passée à Mariafeld.

Ne doutez point de cela, amie. C’est ce bonheur-là qui seul répond pleinement et entièrement aux souffrances que j’ai dû subir jusqu’à la plus profonde des misères. Je sens que même s’il n’était jamais arrivé, j’en aurais été digne et cela me donne la certitude de sa durée. Mais si vous voulez avoir en outre la preuve de l’origine divine de ce bonheur, écoutez-moi. L’année de la première exécution de mon Tannhœuser (de l’œuvre par laquelle j’inaugurai ma voie nouvelle et pleine d’épines), au mois (août) où je sentis une force créatrice si prodigieuse que je conçus en même temps le plan de Lohengrin et celui des Maîtres Chanteurs, une mère enfanta mon ange gardien.

Au temps où je terminais à Lucerne mon Tristan et où je me donnais une peine atroce pour qu’il me fût rendu possible de me fixer sur le sol allemand (Bade) et où, désespéré, je finis par me tourner vers Paris pour m’y fatiguer à des entreprises qui étaient contraires à