Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ma nature, — alors l’adolescent de quinze ans assista pour la première fois à la représentation de mon Lohengrin et il en fut si profondément empoigné que, depuis lors, c’est par l’étude de mes œuvres et de mes écrits qu’il a fait lui-même son éducation, au point qu’il a avoué franchement à son entourage, comme il me l’avoue maintenant à moi, que c’est moi qui ai été son unique éducateur et son unique professeur. Il suit ma vie et mes efforts, mes déboires à Paris, ma chute en Allemagne et n’a qu’un désir, celui d’arriver au pouvoir pour me prouver son immense amour. L’unique, la dévorante douleur de cet adolescent, c’est de ne pouvoir trouver le moyen d’inspirer à son insensible entourage la sympathie qui m’est nécessaire. Au commencement de mars de cette année, je sais le jour, j’eus l’entière perception de l’inanité de tous mes efforts pour me tirer de la ruine, tout ce qui devait survenir de si abominablement indigne, je le vis clairement venir, en proie à un désespoir sans bornes. Alors, subitement, le roi de Bavière meurt et, contre toute attente, mon compatissant ange gardien monte sur un trône. Quatre semaines après, son premier soin est de me faire chercher ; pendant qu’aidé de votre douloureuse sympathie, je vide jusqu’à la dernière goutte de lie le calice des douleurs, l’envoyé royal me cherche dans ma demeure de Penzing déjà sans maitre ; il doit rapporter à l’enthousiaste jeune roi un crayon, une plume qui m’appartienne. Comment et quand il finit par me trouver, vous le savez. Amie, il n’y a pas de doute possible ici : Voilà ce qui a été et ce qui est ! Ah ! Enfin un amour qui n’amène ni douleurs, ni tourments ! Ce que je sens en voyant ainsi devant moi