Page:Wagner - Quinze Lettres, 1894, trad. Staps.djvu/52

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Herwegh, à cette époque, était seul à Zurich, on le disait en proie à une passion tragique ; ses amis ne doutaient point que tout ne rentrât un jour dans l’ordre, car sa femme l’aimait d’un amour sans bornes ; mais elle était alors séparée de lui et vivait avec ses enfants en Italie.

Les Poésies d’un vivant sont pleines de la noble ardeur de la liberté, car les passions politiques ne portaient pas en ce temps-là le masque des Furies. Mais qu’il était changé, ce poète si admirablement doué ! À sa vue la parole d’Ophélia me revenait involontairement à la pensée : « Oh ! quel noble esprit a été détruit ici ! »

La nature lui avait donné une âme vibrante, mais il avait subi l’influence d’hommes violents, organisés pour la lutte, prêts à toutes les audaces révolutionnaires, tels que le Russe Bakounine. À Paris, il avait vécu dans la société de Russes de distinction, aux tendances socialistes, et avait appris à connaître le luxe et tous les raffinements des jouissances spirituelles et sensuelles. Si le succès éclatant de ses Poésies l’avait mis en pleine lumière, ses folles et vaines entreprises du temps du « gâchis de Hecker » avaient jeté une ombre ineffaçable sur toute sa vie.

Herwegh était un homme du monde, un peu blasé, mais des plus aimables et des plus fins.