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Le moindre pli, le moindre nœud, la moindre ganse,
Résumait en soi seul des siècles d’élégance ;
Le moindre mot de ces charmants civilisés,
Des siècles de finesse, et dans les accessoires
Les plus inattendus, des siècles de victoires
Sur la lourde matière étaient totalisés.

On disputait de poésie et de musique ;
Un doux bavard faisait de la métaphysique ;
Les fraises, cependant, d’un tas pyramidal
S’écroulaient et roulaient sous les doigts des gourmandes ;
Les rieuses offraient moitié de leurs amandes ;
On entendait quelqu’un qui parlait de Stendhal.

Et les glaces fondaient, minuscules banquises,
En délivrant des fleurs qui dedans étaient prises ;
On se sentait parfois dans une extase, et puis
On ne savait plus trop d’où venait cette extase,
Si c’était du joli mystère d’une phrase,
Ou de la nouveauté d’un couteau pour les fruits.

Ce fut l’heure où, parmi les coupes de Venise,
Dans un accoudement satisfait, s’éternise
L’égrènement rêveur des grappes de muscats ;
Alors les beaux distraits qu’être une énigme flatte
Sourirent d’un sourire un peu haut sur cravate
Et tinrent des propos obscurs et délicats.

L’amour était ému, libre, profond, frivole ;
Ceux-ci, faux puérils, jouaient a pigeon-voie ;
Ceux-là disaient des vers ; et quand les premiers feux
Palpitèrent, des cigarettes allumées,
Aux cheveux plus légers que de blondes fumées
La fumée emmêla de bleuâtres cheveux.

Le paradoxe était aux lèvres des plus sages ;
Les fracs étaient fleuris d’œillets pris aux corsages ;
Et, comme on entendait de lointains violons,
Les femmes ne faisaient que des réponses vagues,
Et machinalement changeaient de doigts leurs bagues,
Avec des rires brefs et des regards très longs.

L’orchestre avait bien soin de n’être pas tzigane ;
Sa valse eut fait valser Urgèle avec Morgane…