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LA FEMME AU DOIGT COUPÉ

CHAPITRE I
LA CHAMBRE NUMÉRO 10

Il était environ neuf heures du soir ; la pluie tombait fine et froide, le vent soufflait avec violence et la chassait en gros tourbillons. Peu de monde dans les rues ; quelques rares passants affairés, le parapluie en mains, le chapeau enfoncé sur l’oreille, couraient plutôt qu’ils ne marchaient, pour se réchauffer sans doute, puis ensuite pour en avoir fini plus tôt avec des affaires indispensables, et regagner le coin du feu.

Rue Saint-Pierre, dans une maison de modeste apparence, se trouvaient deux hommes, installés dans un salon, moitié bureau moitié fumoir, meublé cependant avec une certaine élégance. L’un d’eux, le plus âgé, les pieds sur une table, une pipe d’écume à la bouche, envoyait nonchalamment au plafond des bouffées de fumée bleuâtre. Un verre de gin était placé à côté de lui ; de temps en temps, il y trempait ses lèvres, puis reprenait sa pipe momentanément interrompue. Nous nous dispenserons de le présenter à nos lecteurs qui ont déjà reconnu, sans doute, le détective Lafortune.

Son compagnon était un tout jeune homme, paraissant avoir 19 ou 20 ans. Il était grand, élancé, avait les cheveux châtains, de grands yeux bleus, tantôt de la couleur du firmament, tantôt devenant grisaille, suivant ses impressions et la façon dont ils étaient éclairés. Sa figure ouverte et franche prévenait en sa faveur. Un petit duvet naissant couvrait à peine son menton. La bouche de grandeur moyenne, des dents d’une blancheur éclatante : c’était en somme ce que l’on peut appeler un fort joli garçon. Ses vêtements, quoique fort propres et forts décents annonçaient une situation de fortune peu élevée. Il était depuis quelque temps en relations avec Lafortune qui, ayant été frappé de l’intelligence du jeune homme et de son honnêteté l’avait associé à ses recherches.

— Hé ! bien, Ben, mon garçon, dit tout à coup Lafortune,