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vaguer les élèves par le village, il me ferait pendre à ma porte.

Moi, naturellement, jugeant bien d’après sa figure qu’il était capable d’exécuter une pareille abomination, je lui répondis que je protestais, mais que je me soumettais, pour lui épargner ce crime.

Alors il me dit :

« Je vous permets de protester, même par écrit, puisque c’est votre habitude de protester en France ; j’y consens, et je n’y vois pas d’inconvénient. Mais d’abord vous allez obéir, et l’on vous payera comme à l’ordinaire, c’est moi-même qui vous ferai payer. Et quand j’aurai du temps de reste en dehors de mon service, j’arriverai pour vous inspecter et voir si vous donnez unç bonne instruction à vos élèves. Nous causerons ; si vous savez votre affaire, on vous conservera ; mais si vous ne savez rien, je vous ferai remplacer. »

J’allais lui répondre qu’il n’avait aucun droit dans mon école, que j’étais nommé régulièrement, et que je ne me laisserais pas conduire comme un soldat ; mais au moment où je réfléchissais à ces choses, voilà qu’un trompette se met à sonner leur retraite, car il faisait nuit à cinq heures au mois de décembre, et ce trompette sonnait faux : au lieu de souffler trois fois d’abord haut, ensuite plus bas, et finalement de beugler lentement à la manière de ces Allemands, il poussait des sons tremblotants et comme enroués.

Ce que le colonel entendant, il sortit transporté de colère, je le suivais dans l’allée, mon chapeau à la main ; et lui, sautant pardessus les tas de neige sur le trompette, lui donna d’abord deux épouvantables soufflets qui lui firent jaillir le sang de la bouche et du nez ; après quoi il se mit à crier aux hommes de garde près de là :

« Venez !… attachez-moi ce porc, il est ivre !… Il a bu comme un porc, qu’il soit traité comme un porc ! »

Les autres accoururent, munis d’une corde à fourrage, et garottèrent le malheureux. Le colonel regardait, ses yeux étincelaient ; et voyant le trompette à terre étendu et lié, il dit en montrant le bûcher :