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« Jetez-le là-dedans… Qu’il cuve son vin ! »

Ce que les autres firent sans oser murmurer un mot.

Alors, songeant qu’il n’avait jamais fait aussi froid de l’année et que cet être humain risquait de périr, je voulus dire un mot en sa faveur au colonel, qui me cria furieux :

« Taisez-vous ! Mêlez-vous de vos affaires ! et souvenez vous de mes ordres ! »

Et tout aussitôt il partit, traînant son sabre qui sonnait sur la glace, et entra chez le maire pour se goberger selon sa coutume ; car il ne se refusait rien, non plus que ses officiers, en bons vins, bonnes viandes et autres victuailles.

Je crois bien que le trompette avait un peu trop bu, mais combien de braves gens s’oublient quelquefois à table et n’éprouvent pas au traitement aussi dur !

Enfin, ayant vu cela, je rentrai dans notre petite chambre, où cuisait le maigre pot-au-feu, et je m’écriai tout haut :

« Dieu du ciel ! Dieu du ciel ! à quel état sommes-nous réduits ! Oh ! malheur ! »

Et ma femme qui pleurait me dit :

« Auburtin, il faut obéir… sans cela… dans ce terrible hiver où la misère est partout, ce sauvage nous mettrait dehors, et que deviendrions-nous avec nos enfants ? »

Moi je me promenais de long en large sans répondre ; l’indignation me possédait, mais qu’est-ce que je pouvais faire ?

Une demi-heure après, la nuit étant déjà profonde, et la lumière du foyer éclairant les fenêtres toutes blanches de givre, je sortis dans l’allée pour voir ce que faisait le malheureux trompette.

Après avoir regardé attentivement dans la rue neigeuse, je m’approchais du bûcher, lorsqu’une sentinelle que je ne voyais pas sous les piliers me cria :

« Ver da ? »

Ce qui me fit rentrer bien vite.

Sans la sentinelle, j’aurais délié le pauvre garçon, mais ces gens-là prévoient tout ! Et ce qu’on aura peine à croire, c’est que le malheureux resta là toute cette nuit et le lendemain