Page:Wanda - La femme au doigt coupé, 1886.djvu/82

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« Vous me répondez de l’homme, de l’uniforme et de tout ! »

Je me dis :

« Oui ! va-t’en au diable, animal féroce ! Je me moque de toi, puisque tu pars ! Et Dieu veuille qu’on n’entende plus parler de toi ni de ta bande. »

Ils partirent tous ensemble du côté de Metz, me laissant ce garçon sur les bras, sans honte ni pudeur.

Quoi faire, maintenant ? quoi dire ?

Le vétérinaire Gueûry, notre voisin, entra par curiosité.

Il regardait cet ivrogne, car c’était un ivrogne ! Son ivrognerie était cause de l’ennui qui m’arrivait : s’il ne s’était pas enivré, il n’aurait pas reçu les soufflets du colonel, il n’aurait pas été jeté dans le bûcher, il n’aurait pas été gelé et serait parti comme les autres.

Je me faisais toutes ces réflexions en le regardant.

C’était pourtant un assez bel homme de trente à trente-cinq ans, un peu gros et joufflu ; je ne pouvais pas le laisser là dans cette saison froide, et malgré tout j’étais en train de rallumer le feu, lorsque Gueûry me dit :

« Gardez-vous-en bien ! Il faut continuer à le frotter avec de la neige, sans cela son nez se pèlera tous les ans comme une pomme de terre cuite en robe de chambre et ses oreilles s’éplucheront comme des légumes. Prenez garde !… Un peu plus tard, quand il se ranimera, vous pourrez augmenter la chaleur, mais il ne faut pas se presser. Et puis est ce que vous n’avez pas un peu d’eau-de-vie quelque part ? »

J’en avais un peu dans une bouteille, de l’eau-de-vie camphrée pour les blessures et les piqûres d’abeilles. Gueûry me dit que c’était ce qu’il fallait.

J’allai donc la chercher ; puis le vétérinaire et moi, pendant une bonne demi-heure encore, avec un linge, nous fîmes tomber de l’eau de neige sur la figure, les mains et les pieds de cet homme ; finalement, nous lui donnâmes un petit verre d’eau-de-vie camphrée, seule chose qui le réveilla et lui fit ouvrir les yeux, bien étonné, comme on pense, de se trouver là tout nu sur une table, avec des étrangers.

Il se mit à frissonner, à claquer des dents ; Gueûry me dit que c’était bon signe, qu’il en reviendrait.