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CHAPITRE I.

rampe solide. Mon guide voulut bien me donner quelques leçons ; mais il avait évidemment une très-pauvre opinion de son élève, et ce fut sans doute pour cette raison que, peu d’instants après avoir dépassé le col, il déclara qu’il n’irait pas plus loin et qu’il voulait retourner à Biona. Tous mes raisonnements furent inutiles, il persista dans sa résolution, et à tout ce que je lui dis il ne répondit rien, si ce n’est qu’il voulait s’en retourner. Comme j’étais un peu inquiet de descendre seul plusieurs longues pentes de neige qui s’étendaient entre l’endroit où nous étions et le haut de la vallée, je lui offris un supplément de salaire et il m’accompagna encore pendant quelques instants, mais bientôt nous rencontrâmes des rochers escarpés qu’il nous fallait descendre. Il me dit de m’arrêter en me criant qu’il voulait s’en aller et en me faisant signe de remonter vers lui. J’attendis au contraire qu’il descendît près de moi ; mais, au lieu de m’obéir, il tourna les talons, remonta résolument en haut du rocher et disparut. Je supposai d’abord que c’était une ruse pour m’extorquer un plus fort pourboire, et je l’attendis pendant une demi-heure ; cependant il ne reparut pas. Ma position devenait embarrassante, car il avait emporté mon sac. Je me voyais donc forcé ou de lui donner la chasse, ou de descendre au Breuil, au risque de perdre mon sac. Je pris ce dernier parti, et j’arrivai au Breuil le soir même. Le maître de l’auberge, se défiant d’un voyageur qui n’avait aucun bagage, hésitait à me recevoir, il m’introduisit à tout hasard dans une espèce de grenier déjà occupé par des guides et à demi rempli de foin. Depuis lors nous sommes devenus bons amis ; il n’a plus hésité à me faire crédit et il m’a même avancé quelquefois des sommes considérables.

Ce ne fut pas sans peine que je parvins à dessiner au Breuil, car tout mon matériel avait été emporté par mon guide. Je ne pus rien trouver de mieux que du beau papier à sucre et des crayons qui contenaient plus de silice que de mine de plomb. Malgré tout, je fis tout ce que je voulais faire ; puis je repassai le col de Va-Cornère[1], mais seul cette fois. Le lendemain soir, la

  1. Ce passage est ordinairement appelé le Va-Cornère. Il est aussi connu sous