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ESCALADES DANS LES ALPES.

vieille femme de Biona m’amena de nouveau le guide infidèle qui me fit attendre mon sac pendant deux ou trois heures. Quand il se fut enfin décidé à me le rendre, je l’accablai de toutes les injures et de tous les reproches que je pus trouver dans mon vocabulaire. Le drôle sourit lorsque je l’appelai menteur, il haussa les épaules lorsque je le traitai de voleur, mais, au mot de cochon, il tira son couteau.

Je passai la nuit suivante à Cormayeur ; le lendemain je me rendis à Orsières par le col Ferret, et le surlendemain je gagnai Chamonix par la Tête-Noire. L’empereur Napoléon y arriva le même jour, et l’accès de la Mer de Glace fut interdit aux touristes. En grimpant le long du Plan des Aiguilles, je parvins à dépister la police impériale, et j’arrivai au Montanvers au moment où l’empereur en partait avec sa suite ; mais j’essayai vainement de monter le même jour au Jardin, je manquai de me casser une jambe en faisant dégringoler de gros blocs de rochers sur la moraine du glacier.

De Chamonix j’allai à Genève, puis de Genève par le Mont-Cenis à Turin et dans les vallées vaudoises. À la fin d’une longue et fatigante journée, j’atteignis Paesana. L’auberge était pleine. Me sentant très-fatigué, j’allais me mettre au lit, quand je vis entrer quelques rôdeurs de village qui se mirent à chanter. C’était Garibaldi qu’ils chantaient ! Le ténor, un jeune homme à peine vêtu, dont les guenilles ne valaient pas vingt sous, conduisait le chœur avec une expression et un sentiment admirables ; ses compagnons se distinguaient dans leur partie par une justesse non moins merveilleuse. Ce concert improvisé me ravit tellement que je les écoutai pendant plusieurs heures. Longtemps après m’être retiré, j’entendais encore leur concert mélodieux dans lequel retentissait de temps en temps la voix plus aiguë de la jeune fille d’auberge.

Le lendemain matin, je passai, en me rendant en France,

    le nom de Gra-Cornère, ce qui, je pense, signifie en patois le Grand-Cornier. Il est mentionné dans le premier volume de la seconde série des Peaks, Passes and Glaciers, et dans les chapitres VI et XX de ce volume. Voyez aussi l’Itinéraire de la Suisse, par Adolphe Joanne, p. 279.