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CHAPITRE I.

près des petits lacs qui forment la source du Pô. Le temps était orageux. Comprenant mal le patois de quelques paysans qui me montrèrent réellement le bon chemin, je me trompai de sentier et je me trouvai bientôt au pied des rochers escarpés du mont Viso. Une brèche, que j’aperçus dans la crête qui le relie aux montagnes de l’est, m’inspira l’idée d’y monter, et j’y parvins après m’être escrimé des pieds et des mains contre un champ de neige d’une raideur excessive. La vue que j’y découvris était extraordinaire, et pour moi, unique. Au nord, je n’apercevais pas une molécule de brouillard, et le vent violent qui soufflait de cette direction me faisait chanceler sur mes jambes ; mais, du côté de l’Italie, les vallées étaient complétement remplies à une certaine hauteur par d’épaisses masses de nuages ; partout où ces nuages ressentaient l’influence du vent, ils étaient nivelés comme la surface d’une table, et les sommets des montagnes se dressaient au-dessus de cette ligne uniforme.

Je descendis rapidement à Abries, puis je me rendis à Mont-Dauphin par la gorge du Guil. Le lendemain, j’étais à la Bessée, à la jonction de la Vallouise et de la vallée de la Durance, en face du mont Pelvoux. J’entrai par hasard dans un cabaret où déjeunait un Français qui avait tenté inutilement, peu de jours avant, l’ascension de cette montagne avec trois Anglais et le guide Michel Croz, de Chamonix[1]. Ce Français était un bon compagnon du nom de Jean Reynaud.

Le soir du même jour, j’allais coucher à Briançon, dans l’intention de partir le lendemain matin pour Grenoble avec le courrier ; mais toutes les places avaient été arrêtées plusieurs jours à l’avance ; aussi je me mis en route à deux heures de l’après-midi pour faire à pied une course de 111 kilomètres. Le temps s’était gâté de nouveau. Parvenu au col du Lautaret, je me vis obligé de chercher un abri dans le misérable petit hospice qui s’y trouvait alors et qui a été rebâti depuis. Il était rempli

  1. C’était pour illustrer cette ascension que j’avais été envoyé dans la Vallouise.